Les hiboux June et Sammin ont eu l’opportunité de rencontrer Élise Ducamp et Fanny Liger, respectivement l’auteure et l’illustratrice de Quelque chose de Corée du Sud. Minido vous avait rédigé un article sur ce livre, paru le 22 mars dernier aux éditions Nanika.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
Je m’appelle Élise Ducamp. J’ai fait un BAC S, deux ans de classe préparatoire puis un master en littérature comparée et édition à la Sorbonne. Ensuite, je suis devenue éditrice dans une boîte d’édition. Puis un jour, j’ai eu la drôle d’idée de créer ma propre boîte d’édition : Nanika. Il y a des jours où je me dis : « Qu’est-ce qui t’es passée par la tête ce jour-là… » (rires). Mais je travaille toujours à côté dans la première boîte d’édition. L’idée de créer Nanika m’est venue quand je suis rentrée de Corée car les livres qui parlaient de la Corée me frustraient beaucoup, j’avais envie de les prendre et de les brûler. Bon, ça, c’était en 2016. Depuis, il y a de bons livres qui sont sortis. Mais j’ai été frustrée car je voulais montrer la Corée que moi j’avais découverte… Donc je me suis retrouvée avec un livre sur les bras. C’est à partir de ce livre que je me suis dis : « mais en fait, il faudrait le faire pour tout ». C’est pour ça que j’ai décidé de créer Nanika. Nous avons donc monté cette maison d’édition et au total, nous sommes cinq à y travailler.
Je suis Fanny Liger. J’ai eu un BAC L, j’ai toujours aimé l’art mais j’avais un petit peu peur de me lancer. Je voulais aussi être journaliste donc j’ai fait une année d’histoire à la Sorbonne. J’avais des amis qui faisaient une MANAA (une année de classe préparatoire en art), j’ai regardé de loin et puis j’ai décidé de m’y inscrire. J’ai été prise à l’école à Estienne, mais en même temps, j’ai été prise dans une école de journalisme à Lyon, donc j’ai dû faire un choix. J’ai choisi de faire la MANAA à Estienne et j’ai commencé ensuite un BTS DGI (Design Graphisme Imprimé).
Pourquoi avoir choisi d’écrire sur la Corée ? Qu’est-ce que vous avez le plus aimé là-bas ?
Élise : De base j’adore le Japon, je m’étais spécialisée en littérature japonaise. J’y allais pratiquement deux mois par an. En 2015, quand j’allais reprendre mes billets pour le Japon, mes amis m’ont charriée en me disant : « Tu n’en as pas marre du Japon ? Va voir autre chose ». Donc moi, par orgueil, je leur ai dit : « Eh bien, puisque c’est comme ça, je vais aller voir ailleurs ». À ce moment-là, j’avais une amie qui habitait en Corée avec son copain, ce dernier voulant être pro gamer. Comme elle déprimait un peu, j’ai décidé de partir là-bas. Ça a commencé comme ça et j’y suis restée onze mois. Je travaillais en freelance dans des entreprises françaises.
J’ai adoré la culture autour de la nourriture, toute la symbolique qu’il y a derrière, le fait que ça soit un vrai moment convivial. Dès que tu rencontres quelqu’un, tu vas manger. En fait, tout est réglé autour de ça : pendant le travail tu vas manger, lorsque tu ne vas pas bien tu vas manger, tu vas bien tu vas manger… Depuis que je suis rentrée en France, je m’ennuie aux repas. Le fait que les plats soient en commun, c’est quelque chose qui me manque maintenant.
Je pensais aussi que la culture coréenne ressemblerait à la culture japonaise, au niveau des codes, de la politesse, etc. Comme je connaissais bien le Japon, je suis arrivée en Corée un peu naïvement en me disant que ça irait mais en fait ça n’allait pas du tout (rires). Arrivée là-bas, j’étais complètement perdue mais c’est l’une des choses qui m’a le plus plu parce que, quand tu ne comprends rien, et bien tu essaies petit à petit de chercher le sens de tout ce que tu vis. Au final, tu emmagasines plein de connaissances et tu reconstruis comme ça la culture, les modes de fonctionnement, les symboliques… Et j’ai adoré ça. J’avais hâte de comprendre ce qui se passait autour de moi.
Comment s’est déroulée l’écriture du livre ?
Élise : C’est moi qui ai choisi les grandes thématiques du livre et son organisation. J’ai écrit avec les informations que j’avais récoltées pendant mon séjour à Séoul. Là-bas, je m’étais beaucoup renseignée, documentée, j’ai regardé des films, des dramas… J’ai réussi à écrire avec mes souvenirs. Ensuite, je suis allée au Centre Culturel Coréen pour qu’ils vérifient quand même ce que j’avais écrit, s’il n’y avait pas d’erreurs, etc.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Élise : J’ai eu du mal à écrire la partie musique, je n’y connais rien et ce n’est pas ma passion. Je voyais à peu près les trucs basiques comme la K-pop mais après, j’ai dû faire des recherches. D’ailleurs, le Centre Culturel Coréen a trouvé des erreurs seulement dans la partie musique (rires). Après il y a eu aussi la transcription des mots. Ce n’était pas vraiment une difficulté mais c’était par rapport à la transcription officielle des mots. Moi, j’ai préféré écrire les mots en fonction de la manière dont ils sont prononcés. C’est d’ailleurs l’une des choses qui m’a énervée quand je suis rentrée en France. Les guides mettent la transcription officielle des mots mais quand tu vas en Corée et que tu prononces les mots tels qu’ils sont écrits (nldr : à la française en prononçant chaque lettre), aucun Coréen ne va te comprendre. La prononciation coréenne est très compliquée et c’est pour ça que j’ai décidé d’écrire les mots coréens à la manière dont ça s’entend, se prononce. Le Centre Culturel Coréen a d’ailleurs été pointilleux à ce sujet car ils voulaient la transcription officielle. Du coup, à la fin du livre, j’ai ajouté un lexique avec tous les mots retranscrits de manière officielle.
Fanny : J’ai eu du mal à dessiner les personnages de base, surtout la gestuelle. Du coup, on cherchait des vidéos sur YouTube mais c’était un peu flou. J’ai eu quelques difficultés dans la symétrie de certains objets aussi comme les bols ou la nourriture mais ça a été un plaisir de dessiner et je n’ai pas eu de problèmes particuliers. Élise a rajouté les touches de couleur sur les dessins.
Élise : J’avais du mal à expliquer certains principes. Comme il n’y a rien de concret, c’est compliqué. Je rencontre le même problème avec l’illustrateur pour la Côte d’Ivoire, c’est difficile d’expliquer alors que c’est pourtant simple de base.
Y a-t-il une partie/un dessin que vous avez préféré écrire/faire ?
Élise : J’aime bien la partie histoire…
Fanny : Surtout la manière dont tu en parles, c’est intéressant. Et tes petites anecdotes sur la beauté et tout.
Élise : Les anecdotes, ce sont des histoires vraies, en plus… Il y a les dames qui viennent te voir et te disent « tu serais jolie si tu faisais de la chirurgie esthétique » ou « tu devrais faire attention à ce que tu manges ». C’est pour ça que j’ai écrit la partie « t’es beau, t’es moche, si tu es moche tu le sais. »
Fanny : Concernant les dessins, celui que je préfère est le premier que j’ai fait pour le test (page 162).
Fanny, comment avez-vous développé votre style graphique ?
C’était mon style de base, je n’ai pas eu à me forcer justement. Au contraire, j’ai pu exprimer mon style, ce que je ne peux pas trop faire à l’école. Cela m’a fait beaucoup de bien et très plaisir d’illustrer ce livre. J’avais des photos comme modèles pour faire les illustrations et Élise m’expliquait tout avant : les détails à bien reproduire dans le dessin, etc.
Pensez-vous écrire de nouveau un livre sur la Corée ?
Élise : Je n’ai pas l’intention d’écrire de nouveau sur la Corée du Sud. Par contre, je pense plutôt écrire des articles.
Fanny, connaissiez-vous la Corée du Sud avant d’illustrer ce guide ?
Fanny : Je ne connaissais pas vraiment la Corée du Sud. J’ai découvert ce pays avec ce projet. Pour le moment, je n’ai pas le temps de m’intéresser plus que ça à l’art coréen car j’ai des partiels mais j’ai adoré découvrir la Corée et ça m’a donné envie de me pencher dessus quand j’aurai fini mes examens.
Élise : En fait, la plupart de l’équipe Nanika a découvert ce pays grâce à ce projet.
Quel est votre ressenti de cette expérience ?
Élise : C’était une expérience traumatisante (rires). Je ne veux plus écrire. J’adore écrire, pourtant, mais je n’aime pas être exposée, devoir parler à des journalistes… Je préfère être éditrice. Après, je suis contente du rendu, mais c’était assez stressant. Une fois que c’est sorti, je me suis dit : « J’espère que je n’ai rien laissé passer ». Il n’y a pas de prise de parti dans le livre au niveau historique et politique, et c’est voulu. Mais la possibilité que les gens t’attaquent sur quelque chose et qu’il faut pouvoir justifier tes choix est assez stressante.
Vous connaissiez-vous avant cette collaboration ?
Élise : Quand j’ai fini le livre sur la Corée, j’avais envie d’alterner les photos et les dessins car je trouve que les photos sont un peu traîtres. Typiquement sur Instagram, la plupart des photos sont très retouchées et ça ne représente pas forcément la réalité. Je trouve que le dessin permet de mieux mettre l’accent sur un état d’esprit. Il a donc fallu trouver une illustratrice. Fanny est une amie de Gaëlle, la co-fondatrice de Nanika, et il se trouve que son style correspondait à ce que je voulais.
Fanny : Élise m’a demandé de faire un premier dessin test au crayon noir pour voir.
Élise : Et ça correspondait exactement à ce que je recherchais.
Fanny : Le dessin est d’ailleurs à la fin du livre, page 162.
Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Élise : Pendant toute la période de production du livre, Fanny et moi, nous cherchions des modèles, nous en refaisions. Fanny me disait « Non, tu me fais pas faire ça » (rires) donc parfois nous devions trouver d’autres modèles, etc. Donc voilà on l’a fait ensemble.
Élise, pensez-vous écrire d’autres guides pour les éditions Nanika dans les années à venir ? Si oui, lesquels ?
Élise : Personnellement, je ne pense pas écrire de nouveau. Par contre, avec l’équipe Nanika, on a prévu de faire éditer quatre livres par an. Il y en a déjà deux de prévus pour 2020 dont, normalement, le Japon. Là, nous sommes en train de préparer la Côte d’Ivoire, la Tunisie ainsi que le Mexique.
Pour conclure l’interview, pouvez-vous nous raconter une anecdote autour de la conception du livre ?
Élise : La Corée du Sud est le premier livre à être parti chez l’imprimeur. Il m’avait fait un prototype avec la couverture mat qu’on avait validé. On a reçu les premiers cartons, puis on les a ouverts. Ils étaient trop beaux mais on s’est rendu compte que la couverture était brillante ! Et normalement, elle devait être mat. On a donc dû refaire les impressions en urgence. Il y avait 500 ratés ! On a présenté les brillants à la soirée de lancement car sinon, on n’avait pas de livres à montrer (rires). Mais après, on a tout récupéré pour qu’ils ne soient pas commercialisés.
Un grand merci à Élise Ducamp et Fanny Liger pour avoir répondu à nos questions !
Vous pouvez retrouver le livre Quelque chose de Corée du Sud chez les éditions Nanika.