Depuis le début de la crise sanitaire en 2020, plus de 20 livreurs sud-coréens, particulièrement sollicités par les habitants invités à limiter leurs déplacements, sont décédés à cause du surtravail (과로사 / gwarosa). En août 2021, les entreprises employant des livreurs ont donc réagi face à la situation, après les complaintes des syndicats.
Le « gwarosa » et la société du surtravail
« Gwarosa » est un terme sud-coréen désignant une mort causée par le surtravail, qui illustre le sacrifice de l’individu pour le développement de la société. Le surtravail a en effet permis le développement de la Corée du Sud au point d’en faire une des plus grandes puissances économiques mondiales en moins d’un siècle. Bien que le phénomène du « gwarosa » ne soit pas nouveau, il a refait surface en 2018, lorsque le gouvernement sud-coréen a décidé de diminuer le nombre d’heures de travail hebdomadaire.
Mais alors que la plupart des Sud-Coréens travaillent aujourd’hui 52 heures par semaine, les livreurs ne sont en pratique pas concernés par cette nouvelle loi. En effet, même si une entreprise de livraison ferme à 21 heures, les livreurs doivent encore livrer tous les colis qu’ils ont avec eux avant le lendemain, sous peine de recevoir un malus. En temps normal, les livreurs travaillent plus de 52 heures en Corée du Sud, où l’achat en ligne est une pratique courante. Avec la pandémie, leur temps de travail a encore augmenté, au point d’atteindre les 90 heures par semaine.
Un manque de considération des livreurs sud-coréens
Depuis le début de la pandémie, 21 livreurs sud-coréens sont décédés du « gwarosa ». D’autres livreurs ont également été victimes d’accidents du travail, comme Im Gwang Soo, interviewé par ABC, tombé dans le coma après avoir été atteint d’une hémorragie cérébrale.
Le nombre important d’accidents et de « gwarosa » chez les livreurs sud-coréens s’explique par de mauvaises conditions de travail : en plus des livraisons, les livreurs doivent assurer l’emballage des colis, déplacer de lourdes charges à mains nues, subir la chaleur de l’été, sauter les pauses déjeuner ou livrer la totalité des colis dans la journée sous peine de recevoir un malus.
Aujourd’hui, les entreprises sud-coréennes ne considèrent pas le « gwarosa » et ignorent leurs responsabilités liées aux accidents de travail. En octobre 2020 par exemple, un livreur de 27 ans est décédé d’une attaque cardiaque en rentrant chez lui après une ronde de nuit. Son entreprise, le géant du e-commerce Coupang (le « Amazon sud-coréen ») a d’abord nié que sa mort était liée à son travail. Ce n’est qu’après une campagne menée par les parents du livreur à travers le pays que le gouvernement sud-coréen a officiellement reconnu que sa mort était due au surtravail.
Protestation croissante des livreurs contre le « gwarosa »
Avec le nombre croissant de « gwarosa », les syndicats sud-coréens ont décidé de réagir.
En janvier, ils ont réussi à obtenir un accord auprès des entreprises sud-coréennes pour qu’elles emploient des personnes gérant l’emballage des colis et pour que les livraisons s’arrêtent à 21 heures. Mais alors que l’accord devait prendre effet en juin, celui-ci a été repoussé et ne sera effectif qu’en janvier 2022.
En juillet, les livreurs de la Korea Post ont quant à eux fait une grève de huit jours et ont manifesté à Séoul. Mais en fin de compte, ces livreurs n’ont pas été rémunérés pendant leur grève et ont été menacés de punitions judiciaires pour ne pas avoir respecté l’interdiction de manifestation en période de pandémie.
Ce mois-ci, les livreurs ont enfin obtenu une première victoire symbolique : les quatre principales entreprises de livraison sud-coréennes ont accepté de faire du samedi 14 août un « jour sans colis », afin d’offrir aux livreurs un week-end de trois jours jusqu’au lundi 16 août, férié. Il semblerait donc que les livreurs commencent à faire entendre leur voix, notamment avec l’implication croissante des médias étrangers, qui exposent le traitement des livreurs en Corée du Sud.
Sources : ABC News | The Korea Times | The Korea Herald