À propos de l’auteur
Né en 1963 dans le quartier chinois de Yokohama au Japon, Ook Chung est un écrivain canadien d’origine coréenne. Son parcours atypique en fait un auteur internationaliste qui ne se réduit à aucune frontière. En 1965, sa famille immigre au Canada. Alors âgé de deux ans, Ook Chung grandit au Québec. Il écrit donc en langue française, mais le Japon, et la Corée dans une autre mesure, transpirent toujours de ses œuvres. Après des études en littérature française à l’université Concordia, il obtient un doctorat en littérature française à l’université McGill. En 2000 et 2002, il est récompensé du prix littéraire Canada Japon pour Testament de Tokyo et Kimchi. Les grands esprits se rencontrant toujours, il écrit un essai sur les œuvres de Le Clézio.
Les récits de Ook Chung gravitent surtout autour de la quête d’identité. Il révèle le ressenti des « diasporiens » qui sont toujours en quête de la terre natale perdue sans jamais pouvoir retrouver ces sources dont ils se savent, chaque jour, un peu plus étrangers. Dans son recueil Trilogie coréenne, il révèle les trois générations de sa famille au travers de trois récits. L’histoire de ses grands-parents en Corée, de ses parents émigrés au Japon et de sa fratrie éduquée au Canada ouvre en grand les portes du quotidien de la diaspora coréenne comme on la lit finalement assez peu.
Résumé
L’expérience interdite est un roman sombre et métaphorique qui interroge la place des décalés dans l’univers. On y suit plusieurs personnages liés par une expérience inhumaine dont certains sont les victimes et les autres les tortionnaires. Sur une île des Philippines, Bill Yeary gère un commerce d’esclaves encagés qui produisent jour et nuit des œuvres littéraires et… de la bille humaine. Mais au fond de la nuit dans laquelle ils sont enfermés, la révolte gronde.
Mon avis sur L’expérience interdite
L’expérience interdite est un roman à la croisée de la Ferme des Animaux et de l’Atelier du Diable. Satire grinçante d’une société qui est la nôtre, ce livre approche par la métaphore les réalités plus invisibles de notre époque. Les hommes de lettres sont enlevés et enfermés et entreposés, telles les bêtes de nos industries laitières, pour produire, dans la souffrance, des chefs-d’oeuvre littéraires. Ook Chung aborde une critique directe dans un décor sombre de la société de production qui touche même les arts. Il décortique aussi la figure de l’artiste martyrisé qui ne pourrait produire de la beauté qu’à travers une torture quotidienne.
Pourtant, L’expérience interdite n’est pas qu’un récit métaphorique de la création littéraire. C’est aussi un recueil qui recèle de cette peine camouflée que l’auteur a sans doute lui-même vécue et qui est ô combien universelle : le sentiment de marginalité. Car les personnages, enchaînés ou libres, sont tous en quête d’un eux qui se distingue du groupe. Et ils souffrent pourtant de leur différenciation aussitôt qu’elle s’exprime. Tous ces humains enfermés dans un monde inhumain tentent plus ou moins d’échapper à l’enfermement. Même le tortionnaire mégalomane, Bill Yeary, s’évertue à légitimer l’horreur de son entreprise par de grandes réflexions tout en tâchant d’obtenir l’affection de ses victimes. Jusqu’au moment de la révolte où la moins humanisée des créatures semble être la seule capable de libérer le groupe.
L’expérience interdite est un bon roman glauque qui vous laissera un sentiment de malaise certain car il touche à des tabous humains. Pour autant, c’est loin d’être un mauvais livre. La distance narrative que l’auteur apporte par des registres linguistiques variés tout comme l’exploration de son thème par les points de vue de ses différents personnages sont salutaires. Vous pourrez ainsi faire des pauses dans l’horreur. C’est aussi toute une facette de la métaphore sociale que vous pouvez observer.
Conclusion
Très différente de la littérature coréenne du continent, le style de Ook Chung ouvre sur une littérature qui n’obéit à aucune frontière. L’histoire se situe aux quatre coins du monde. Elle évolue en suivant des personnages aux cultures et nationalités très différentes mais qui sont tous victimes de la même déshumanisation.
Il me semble, en ce sens, beaucoup plus riche que nombre de romans coréens que j’ai pu lire. Tout aussi sombre mais tristement ethnocentré. L’expérience interdite est peut-être un premier livre difficile pour entrer dans l’univers de Ook Chung mais il n’en demeure pas moins un récit de qualité. Pour ma part, j’ai hâte de découvrir ses autres écrits : Nouvelles orientales et désorientées et Kimchi.
Où le trouver ?
L’expérience interdite de Ook Chung, Éd. le Serpent à Plumes, ISBN 2-84261-440-2, 2003
Sources : YouTube | Édition Boréale |Communik Asie
Article rédigé par Casado Hélène.