After My Death est un film qui s’attaque à des problèmes profonds, allant de la pression sociale à la dépression adolescente, en passant par les fissures de la société qui les causent.
Le 12 novembre, les hiboux June et Lilou ont eu la chance d’assister à la projection presse du film au Club de l’Etoile grâce à Sophie Bataille que l’on remercie très chaleureusement pour cette opportunité. Retour sur ce long-métrage dur mais riche en leçons.
Attention, ce zoom sur After My Death contient des spoilers, nécessaires à la compréhension du film.
Informations
Titre original : 죄 많은 소녀
Pays : Corée du Sud
Scénario et réalisation : Kim Ui Seok
Genre : drame familial
Première mondiale : octobre 2017 (Busan International Film Festival)
Date de sortie en Corée : 13 septembre 2018
Date de sortie en France : 21 novembre 2018
Durée : 113 minutes
Synopsis
La disparition soudaine d’une élève d’un lycée pour filles précipite la communauté scolaire dans le chaos. La piste du suicide est privilégiée. Famille, enseignants et élèves cherchent à fuir toute responsabilité. Lee Young Hee, une camarade d’école, est suspectée par tout le monde, à commencer par la mère de la victime. Bouc émissaire idéal, Young Hee cherche à échapper à n’importe quel prix de la spirale de persécutions qui l’accable. Mais quel secret, quel pacte peut-elle bien cacher ?
Casting
Bande-annonce
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After My Death : une critique de la société coréenne
À la lecture du synopsis, il est facile de penser que After My Death est un thriller où les personnages vont tenter de résoudre le crime qui a été commis. Seulement, dès les premières minutes, After My Death annonce que ce ne sera pas le cas. Au contraire, les personnages font face à un événement dramatique et s’efforcent de le surmonter… À leur manière.
► Au commencement, le harcèlement scolaire
L’un des premiers sujets abordés dans After My Death est le harcèlement. Les jeunes lycéennes sont terrifiantes : voleuses, menteuses, violentes… Et c’est la jeune Kyung Min qui en fait tout d’abord les frais et ce, dès les premières minutes du film avec la scène dans le magasin de beauté. Et si c’est Young Hee qui semble la harceler, la roue va rapidement tourner car c’est elle qui va commencer à se faire harceler et accuser de la disparition de Kyung Min. Seulement, le harcèlement ne vient pas seulement de ses camarades de classe, il vient également de la mère de Kyung Min qui l’accuse de la disparition de sa fille.
Quid des figures d’autorité dans tout ça ? Le corps enseignant, majoritairement composé d’hommes, ne semble pas s’inquiéter des cas des jeunes filles outre mesure : les enseignants, le proviseur en tête, se préoccupent seulement de la réputation de l’école au détriment des élèves qu’ils sont censés protéger. La mère de Kyung Min découvre lors de l’enquête sur la disparition de sa fille ce que celle-ci subissait quotidiennement. Quant au père de Young Hee, il voit quasiment sa fille se faire agresser par d’autres étudiantes mais ne s’en inquiète aucunement alors qu’elle est blessée.
En traitant ce sujet de cette manière, After My Death met en avant l’indifférence générale que peuvent afficher les figures d’autorité qui sont censées aider les adolescentes. Néanmoins, cela peut donner des indices sur la disparition de la jeune lycéenne.
► Le suicide pour révéler un malaise social plus profond
C’est à partir de la seconde moitié que After My Death plonge dans une tout autre dimension. Dans un pays où le suicide s’est banalisé (rappelons que la Corée du Sud affiche l’un des taux de suicide les plus élevés au monde avec près de 36 décès par jour), la police ne cherche même plus à connaître les raisons de cet acte et se contente de chercher le corps de la jeune fille dans le fleuve. Cependant, la police n’est pas seulement indifférente au suicide de Kyung Min, elle l’est également au sort la jeune Young Hee, qui se retrouve bien seule pour tenter de découvrir la vérité.
Du côté du lycée, deux réactions vont émerger : celle des adultes et celle des lycéennes. Les premiers, représentant l’école et devant, normalement, protéger les élèves, tentent de se dédouaner de cet acte. Ils ne veulent pas en assumer la responsabilité. La jeune fille avait-elle un comportement normal ? Est-ce qu’elle avait des amies ? Est-ce qu’elle travaillait bien à l’école ? Voilà les premières questions que pose le proviseur de l’école au professeur principal de la jeune fille, pour finalement en arriver à la rapide conclusion qu’elle devait être dépressive.
Enfin, les lycéennes vont gérer ce geste à leur manière : trouver un coupable. Et qui de mieux que Young Hee, dernière personne à avoir vu Kyung Min ? C’est donc une classe entière qui se retourne contre la jeune fille, certaines accaparent même le devant de la scène pour gagner en popularité en racontant rumeurs et mensonges sur cette histoire. Seulement, cet effet de groupe va même encore plus loin : certaines jeunes filles vont même jusqu’à entrer par effraction chez Young Hee pour la punir de manière encore plus violente. Cette violence peut s’expliquer par le fait que toutes les lycéennes tentent de réorganiser la vérité qui s’est jouée avant le suicide et effacer le sentiment de culpabilité auquel elles font face pour avoir participé au mal-être de Kyung Min.
Finalement la mère termine de mettre mal à l’aise. D’abord totalement perdue après la disparition de sa fille, elle apparaît rapidement violente envers Young Hee, n’hésitant pas à l’accuser du geste de sa fille et rejetant totalement la faute sur elle. Dans la seconde moitié du film, elle change complètement de comportement, harcelant Young Hee et semblant considérer la jeune fille comme une « remplaçante » de ce qu’elle a perdu. Seulement, à la fin du film elle bascule encore plus dans la folie lorsque Young Hee n’hésite pas à lui dire que, finalement, elle a causé la mort de sa fille, la forçant ainsi à reconnaître ses propres torts dans cette histoire.
Les personnages : l’incarnation de cette société néfaste
► Kyung Min, le reflet d’un mal sociétal « Hell Joseon »
La jeune Kyung Min, que l’on pourrait croire être une adolescente heureuse, est en réalité une jeune femme dépressive, qui cache son mal-être. Tellement bien que personne ne prédit son geste et tous restent abasourdis lorsque le suicide est confirmé. Les raisons de son geste ne sont pas clairement expliquées mais qu’importe, lorsque l’on voit le cercle familial et social dans lequel elle évolue, il n’est pas difficile d’entrevoir le cheminement qui l’a poussée à un tel acte. Le pire dans tout ça : son histoire pourrait être celle de nombreux adolescents. After My Death lève ainsi le voile sur un pan de la société coréenne encore méconnu bien que très présent : celui du désespoir de la jeunesse face à une société ultra compétitive, exerçant une pression sans nom sur ces jeunes individus. « Hell Joseon », c’est le nom que l’on donne à cette Corée dévastatrice (« Hell » pour enfer et « Joseon » pour la dynastie qui a régné sur le pays de 1392 à 1910), dont seule la mort, dans l’esprit de tous, peut libérer. Par ses traits, Kyung Min est l’incarnation parfaite de ce mal sociétal qui ronge le pays.
► Young Hee, le symbole de la jeunesse désabusée
Young Hee, qui passe de bourreau à victime, représente quant à elle le reste de cette jeunesse désenchantée qui souhaite en finir mais n’ose franchir le pas que si on l’y pousse réellement. Tout d’abord dominatrice, c’est elle qui mène la danse mais la situation va très vite s’inverser. Considérée par tous comme la responsable de la mort de Kyung Min, elle tente par tous les moyens de se convaincre et de convaincre les autres du contraire. Mais les mots ne suffisent pas et, à dire vrai, importent peu aux yeux des accusateurs : il faut un coupable et Young Hee est la cible parfaite. Ne sachant comment réagir face à toutes ces accusations, elle opte elle aussi pour les actes. Tentative de suicide infructueuse, elle en ressort néanmoins plus forte. Cette oscillation entre défense et acceptation témoigne d’une jeunesse désabusée, qui ne sait pas comment réagir face à une société oppressante ne se préoccupant pas réellement de ses individus.
► La mère, portrait d’une femme nocive et d’une mère absente
Aux premiers abords, la mère de Kyung Min nous apparaît sous les traits d’une mère soucieuse et chérissant sa fille. Mais cela ne dure qu’un temps. Peu à peu, on découvre une mère absente, trop préoccupée par son emploi, qui ne connaît pas du tout sa fille et qui s’inquiète uniquement de ses résultats scolaires (elle envoie Kyung Min à des cours du soir). Dès que la thèse du suicide est évoquée, elle cherche par tous les moyens à échapper à sa culpabilité et rejette entièrement la faute sur Young Hee. De mère absente, elle passe à « mère nocive » quand elle décide de s’occuper de Young Hee pour lui rappeler sans cesse l’influence qu’elle a eue sur le destin tragique de sa propre fille. Ce personnage fait écho aux parents bien souvent trop absents qui poussent leurs enfants à faire toujours mieux et ne se rendent pas compte de leur mal-être. Dans l’incompréhension totale, ils préfèrent rejeter la faute sur les autres plutôt que de se remettre en question.
► Le principal, l’emblème d’un corps enseignant égoïste
Autre personnage intéressant dans ce film : le principal du lycée. Préoccupé uniquement par la réputation de son établissement, il va chercher des explications plus incongrues les unes que les autres pour expliquer les gestes de ces deux lycéennes et dédouaner son lycée. Il est à la recherche de la perfection (élèves travailleurs, rigoureux et doués) et ne s’estime en aucun cas en partie responsable de la mort de Kyung Min qu’il voyait comme brillante. Il reste complètement insensible au chaos émotionnel qui règne dans son établissement mais s’inquiète énormément de l’image renvoyée par les étudiantes à l’extérieur. Encore une fois, ce personnage permet de mettre en lumière le décalage entre la réalité (le suicide) et les intérêts des institutions qui ne se préoccupent absolument pas de la vie et du bien-être de leurs étudiants, seulement de leurs résultats.
► L’inspecteur, la triste image d’une police blasée
Sans trop de convictions, il entame les recherches de Kyung Min dès que celle-ci est portée disparue et arrive rapidement à la conclusion du suicide. Pas le moins du monde choqué, il dissuade la famille d’en chercher les raisons et ne souhaite pas que les étudiantes modifient leurs témoignages qui pourraient expliquer ce geste. Par son comportement, ses actes et sa manière de penser, l’inspecteur nous projette l’image d’une police indifférente, lassée par tous ces suicides, qui ne cherche même plus à comprendre le pourquoi du comment.
► Han Sol et Da Som, l’incarnation de la pression sociale et de l’impuissance des jeunes
Han Sol et Da Som, les personnages secondaires de cette histoire, ont également toute leur importance. La première, meilleure amie mais aussi amoureuse de Young Hee, se laisse entraîner du début à la fin de l’histoire, de peur des représailles des autres lycéennes. Tiraillée entre ses sentiments et ses craintes, elle reste impuissante face aux événements qui se produisent devant elle.
Da Som, quant à elle, navigue en eaux troubles. Une fois meilleure amie de tout le monde, une autre fois véritable tête à claques, elle cherche sa place au sein de ce groupe oppressant et essaie, par tous les moyens en sa possession, de se mettre en avant pour attirer l’attention sur elle. Malgré ses efforts, cela se retourne contre elle.
Ces deux rôles témoignent de la pression sociale bien réelle que subissent les jeunes de nos jours mais également de l’inconstance des réactions qui en découlent car la société ne leur apprend pas comment s’en sortir et réagir dans ces cas-là. Impuissants, les jeunes sont ainsi lâchés dans la nature, avec leurs incompréhensions et leurs doutes se matérialisant de bien étranges manières.
Conclusion
Des scènes déstabilisantes, des questions laissées en suspens, un regard inquiétant porté sur la jeunesse coréenne : voilà ce qui vous attend dans After My Death. Abordant les sujets actuels les plus sensibles du pays du Matin clair et frais, ce film dresse un portrait de la Corée encore bien trop méconnu qui pourtant gagne du terrain. Ne nous voilons pas la face, After My Death est certes un film dur mais il ne vous laissera clairement pas indifférent et vous fera réfléchir à l’ensemble des sujets évoqués, tout comme à l’image que vous vous faites de ce pays.
Article rédigé par les hiboux June et Lilou
Sources : Capricci | AsianWiki