Page 1 : Le manhwa et son auteur
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Points historique
Les kisaeng, ou gisaeng, sont des courtisanes dont le but est d’offrir l’accès à tous les plaisirs de la vie. Bien sûr, il faut concevoir cette idée loin de notre représentation latine du sujet. Car les plaisirs, dans la pensée coréenne, sont teintés d’un confucianisme certain. Ainsi, les kisaeng se devaient d’être des femmes d’esprit avant d’être des femmes de plaisirs. Les loisirs qu’elles proposaient comprenaient l’art de la poésie, de la danse et de la musique. Elles devaient être apte à divertir les hommes des hautes classes dans leurs temps cérémonieux comme intimes.
Peinture de Shin Yun Bok (신윤복) illustrant une scène de divertissement avec des kisaengs (18ème siècle)
En réalité, la place des kisaeng dans la société coréenne est ambiguë. En tant que prostitués, elles appartiennent à la classe la plus basse de la société, celle des Cheonins. Mais, en même temps, elles peuvent jouir de privilèges et de richesses auxquels seules les yangban (la classe aristocratique coréenne) pouvent prétendre. En tant que femmes d’esprit, les kisaeng développèrent un art poétique propre, le Sijo (시조) dont la poétesse la plus connue est la kisaeng Myeong Wol, aussi connue sous le nom de Hwang Ji Ni. Je vous laisse découvrir un de ses poèmes.
동지달 기나긴 밤을 한 허리를 버혀 내여
춘풍 이불 아래 서리서리 넣었다가
어론 님 오신 날 밤이여든 굽이굽이 펴리라
« Je coupe en deux la longue nuit de novembre
Glisse une moitié sous la couverture printanière
Quand il viendra, je la déroulerai pouce après pouce, pour rendre la nuit plus longue »
Mon avis sur Histoires de Kisaeng
L’oeuvre de Kim Dong Hwa m’a rappelé l’ambiance de certains mangas, tel que Bride Stories de Kaoru Mori, ou de bandes dessinées comme le travail du dessinateur Servais. Brillant tant par la finesse du trait que par la documentation de l’histoire, ces œuvres sont pour moi des chef-d’œuvres pédagogiques. La fiction y est présente mais elle se mêle avec harmonie à un décor détaillé et juste. Aussi, en découvrant Histoires de Kisaeng, j’ai été immédiatement conquise.
Le rythme est lent et se découpe en scénettes illustrant la vie quotidienne. Celles-ci sont ouvertes par des doubles pages illustrées, accompagnées de poèmes. Chose forte agréable, ce manhwa ne tire pas sur la longueur et s’arrête au bout de trois tomes. Il est entouré de deux autres récits qui lui font écho : Nuits de noces et La mal aimée.
De prime abord, on pourrait penser qu’Histoires de Kisaeng est un manhwa érotique sur un fond historique. En réalité, il se place en continuité de l’exploration de Kim Dong Hwa sur le thème du féminin à l’époque de Joseon. En effet, sa série précédente Histoires couleurs Terres s’intéressait aux sexualités d’une mère veuve et d’une adolescente dans un village. Le regard du dessinateur semble empli de curiosité pour ses personnages féminins dont il tente d’imaginer la condition parfois difficile. Sans tomber dans la critique radicale, le discours est doux et mélancolique. Il montre la grandeur de ces personnages d’antan avec une approche presque anthropologique.
Un hommage aux arts traditionnels
À dire vrai, son travail n’est pas sans rappeler la peinture de paysages coréens qui a su se singulariser vis-à-vis de la peinture classique chinoise, en mêlant la citation poétique et l’épuration des traits à une description détaillée du réel. Les illustrations soignées ne sont pas sans rappeler les paysages de Kim Hong Do (김홍도) ou les scènes de vies quotidiennes de Shin Yun Bok (신윤복). Les pages sont parsemées de poèmes et de mots d’esprit par lesquels les personnages s’affrontent dans des dialogues raffinés. On découvre aussi une Corée populaire avec ses marchands, ses mariniers, ses tenancières ses érudits et ses courtisanes. En ce sens, c’est un excellent ouvrage que vous pourrez lire avec bonheur si l’idée de découvrir, au détour d’une page, quelques illustrations torrides ne vous fait pas rougir.
Article rédigé par Casado Hélène.