La fin de l’année 1987 marque une nouvelle ère dans l’histoire politique de la Corée du Sud puisqu’elle permet enfin au pays de rentrer dans un processus de démocratisation. Mais de quelle façon ? Quelle est la place de chaque président dans ce processus ? Voyons donc ce qu’il se passe dans le sud de la péninsule à l’aube de la VIe République de Corée du Sud.
Nous voici enfin réunis pour cette deuxième partie sur les présidents sud-coréens. Si vous n’avez pas encore lu la première partie, vous pouvez la retrouver ici. Je rappelle que je ne rentre pas forcément dans tous les détails car l’intérêt est que vous puissiez comprendre quelles ont été les grandes actions de chaque président. Certains récits demandent plus de précisions que d’autres pour en comprendre le contexte mais je vous invite à aller vous-même vous documenter si l’un des points soulevé vous paraît intéressant (ou trop flou).
Reprenons donc après le mandat de Chun Doo Hwan qui laisse la place à son successeur Roh Tae Woo à la tête du pays.
Roh Tae Woo (노태우)
Nom : Roh Tae Woo ou No Tae-u
Naissance – mort : 1932 –
Présidence : de 1988 à 1993
VIe République
Avant de devenir président, Roh Tae Woo est un militaire et un ami du précédent président Chun Doo Hwan. En effet, ils se rencontrent au collège et ils sont tous les deux allés à l’Académie militaire coréenne. Les années passant et restant de proches amis, Roh fait alors partie des militaires qui assurent la répression des émeutes à Gwangju en 1980. La même année, Chun Doo Hwan devient président et Roh Tae Woo démissionne de l’armée en 1981 pour occuper différents postes de ministre sous Chun (affaires politiques, sports, affaires intérieures). Puis ce dernier choisi Roh Tae Woo en 1987 comme candidat afin de lui succéder pour les élections présidentielles à venir. Mais dehors, le peuple proteste toujours et pour faire face à cela, Roh prononce un discours au mois de juin dans lequel il promet un ensemble de réformes démocratiques, stipulant notamment que l’élection du président se ferait dorénavant par vote populaire. Suite à cela, la constitution est modifiée et approuvée en octobre 1987, ouvrant donc la voie à la sixième république coréenne.
Au mois de décembre, vient le moment de l’élection où trois autres candidats se présentent face à Roh Tae Woo, dont deux de l’opposition, Kim Youg Sam et Kim Dae Jung (tous deux futurs présidents d’ailleurs). Cette division au sein de l’opposition joue en faveur de Roh qui remporte l’élection et est ainsi le premier président à prendre ses fonctions pacifiquement. Il démarre son mandat le 25 février 1988 et gouverne la Corée du Sud pendant cinq ans. C’est donc sous ce président que la Corée du Sud commence doucement à se démocratiser. On peut également noter qu’il est nommé à la tête du comité d’organisation des Jeux Olympiques de Séoul de 1983 à 1986 et que c’est donc lui qui les supervise en 1988, le poussant au-devant de la scène internationale.
Mais quelques années après son mandat, Roh succombe lui aussi (comme Chun Doo Hwan) à la campagne anti-corruption menée par Kim Young Sam en 1993 et est condamné pour plusieurs chefs d’accusation. En effet, il est inculpé pour avoir amassé 654 millions de dollars qu’il a utilisé à des fins politiques et, comme son prédécesseur, il est accusé pour son implication dans le coup d’État de 1979 et le rôle qu’il a joué dans le soulèvement de Gwangju. Sa peine s’élève d’abord à vingt-deux ans et demi de prison puis est réduite à dix-sept ans avant qu’il ne soit finalement libéré, comme son prédécesseur, par le président Kim Dae Jung en 1997, je le rappelle, dans un effort de réconciliation de la nation.
Kim Young Sam (김영삼)
Nom : Kim Young Sam ou Gim Yeongsam
Naissance – mort : 1927-2015
Présidence : de 1993 à 1998
VIe République
Kim Young Sam est fils de pêcheurs et suit des études de philosophie, dont il obtient le diplôme en 1952. Politicien dans l’âme, il entre au parlement l’année suivante à l’âge de 27 ans. Fervent démocrate, il s’oppose haut et fort à la politique de Park Chung Hee, ce qui lui vaut son expulsion du parlement par ce dernier. Suite à cela soixante-six personnes, collègues de Kim, démissionnent du parlement pour démontrer leur mécontentement.
En 1980, lorsque Chun prend le pouvoir de force, Kim est arrêté et interdit de politique pendant huit ans ; son parti étant alors déclaré comme illégal. Il est libéré en 1983 après avoir entamé une grève de la faim de vingt-trois jours, et reprend ses activités politiques en 1985. Suite à cela, il se présente à la présidence de 1987 mais échoue, comme nous l’avons vu précédemment, à cause de la division de l’opposition entre Kim Dae Jung et lui. Pour se donner plus de chance pour la prochaine élection, il fait fusionner en 1990 son parti (parti démocrate de la réunification) avec celui de Roh Tae Woo (parti démocrate de la justice au pouvoir) soutenu par les militaires, amenant à la création du parti démocrate libéral. Ce mariage est stratégique pour les deux hommes : Roh souhaite obtenir une majorité parlementaire et Kim Young Sam, qui déteste pourtant les militaires, s’engage dans cette voie afin d’avoir plus de poids contre Kim Dae Jung face à qui il pense n’avoir aucune chance. Cependant, pour les pro-démocrates, cette union est une réelle trahison.
Finalement, grâce à ce mariage, Kim Young Sam gagne les élections de 1992 et prend ses fonctions en février 1993. Il est alors le premier président civil de Corée de Sud, succédant aux gouvernements menés par des militaires.
Une fois arrivé au pouvoir, Kim Young Sam est catégorique, il souhaite enrayer la corruption du pays et propose plusieurs réformes : l’une d’elle notamment vise à la transparence financière, interdisant donc de posséder des comptes bancaires sous des noms d’emprunt. Il établit également un système de purge et fait ainsi juger et emprisonner plusieurs personnes pour leurs méfaits dont les deux précédents présidents.
Concernant l’économie du pays, elle continue de croître sous le président Kim et le niveau de vie ne cesse de s’améliorer, atteignant même celui des pays industrialisés. C’est d’ailleurs lui qui, au milieu des années 90, se rend compte du potentiel d’exportation que pourrait rapporter l’industrie culturelle à la Corée du Sud pour le développement de sa croissance économique. C’est à ce moment que des projets commencent à être subventionnés dans cette branche afin de lui donner de l’ampleur. La pauvreté, encore présente partout quelques années auparavant, se fait maintenant plus rare.
Malheureusement pour lui, la fin de son mandat n’est pas très glorieuse. Pour commencer, il rate, malgré lui, l’occasion de représenter la première réunion au sommet avec le dirigeant nord-coréen Kim Il Sung, car ce dernier décède deux semaines avant cette rencontre, en juillet 1994. Ensuite, il doit faire face à la crise économique de 1997 qui sévit sur l’Asie et il est critiqué pour ne pas avoir su l’anticiper et la gérer. En effet, la situation est telle que la Corée du Sud doit contracter une dette de 58 milliards de dollars auprès du FMI (Fonds Monétaire International), vécue comme une humiliation pour ce pays qui se développait si bien ces dernières années. En plus de tout cela, l’un de ses fils est arrêté pour corruption et l’image du président dégringole encore. Il termine son quinquennat sur ces notes malheureuses en 1998, ne pouvant pas se représenter au vu des termes de la constitution. Il décède le 23 novembre 2015 de problèmes cardiaques.
On retiendra cependant toujours de lui qu’il était « l’un des pères de la démocratie en Corée du Sud » (Le Monde).
Kim Dae Jung (김대중)
Nom : Kim Dae Jung ou Gim Daejung
Naissance – mort : 1924/1925?-2009
Présidence : de 1998 à 2003
VIe République
Kim Dae Jung a eu une carrière politique semée d’embûches. Il s’est présenté quatre fois aux élections, a subi un enlèvement, a été condamné à mort et a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat.
La date de naissance exacte de Kim Dae Jung est inconnue. Certains disent qu’il serait né le 6 janvier 1924, mais lui donne la date du 3 décembre 1925 lorsqu’il se présente à l’académie militaire. L’hypothèse donnée est qu’il aurait modifié sa date de naissance afin d’éviter de servir sous le drapeau japonais. Il fait des études de commerce dont il est diplômé en 1943 puis il travaille pour une compagnie maritime japonaise. Durant la guerre de Corée, il est capturé par un groupe de communistes mais réussi à s’échapper.
Fort critique du régime en vigueur, Kim Dae Jung décide d’entrer en politique en opposition à la dictature de Rhee Syngman qui devient de plus en plus répressive. Après deux échecs, il est élu à l’assemblée nationale en 1961 mais il ne garde que très peu cette place car l’assemblée est dissoute suite au coup d’État de Park Chung Hee. Il se présente ensuite une première fois aux élections présidentielles en 1971 en tant que candidat de l’opposition démocratique et, même s’il les perd, il obtient tout de même 46% des voix. Il est alors vu comme un problème majeur pour le gouvernement de Park Chung Hee. Quelque temps après les élections, il est impliqué dans un accident de la route qui serait en fait une tentative d’assassinat déguisée, lui causant de graves problèmes à la hanche. Il part s’exiler au Japon par la suite mais, promulguant des discours démocratiques et critiquant ouvertement la répression du gouvernement, il est enlevé dans son hôtel à Tokyo en 1973 par des agents de la KCIA (services secrets sud-coréens) et emmené sur un bateau afin d’être noyé. Sauvé de justesse par deux fonctionnaires américains qui ont agi contre leurs ordres (le gouvernement de Nixon de l’époque était favorable à la dictature en place), il est alors placé en résidence surveillée.
À la mort de Park Chung Hee, il est libéré et reprend ses activités. Malheureusement pour lui, c’est sans compter sur l’arrivée au pouvoir de Chun Doo Hwan qui souhaite également le voir tomber. Il est alors condamné à mort en 1980 pour sédition et conspiration avant que sa peine soit commuée en prison à perpétuité, puis en peine de vingt ans avant qu’il ne soit finalement autorisé à s’exiler aux Etats-Unis en décembre 1982. Il revient en Corée en 1985 et est une fois encore assigné à résidence, mais son retour redonne corps aux mouvements pour la démocratie.
Il se présente aux élections de 1987, où il perd une nouvelle fois suite à la division de l’opposition entre Kim Young Sam et lui, laissant, comme nous l’avons vu, la place à Roh Tae Woo qui gagne l’élection. Candidat à nouveau en 1992, il échoue une troisième fois, contre Kim Young Sam.
Il se présente finalement une quatrième fois en 1997 et remporte les élections, devenant le huitième président de Corée du Sud et succédant à Kim Young Sam en pleine crise économique. Il réussit cependant à bien gérer cette situation et à redresser le pays, permettant de rembourser la dette en 2001 avec trois ans d’avance par rapport à ce qui était prévu, grâce à la mise en place de diverses réformes et restructurations. Il initie notamment une campagne de collecte d’or au début de l’année 1998 pour faire face à la dette, et les sud-coréens se séparent donc de leurs biens afin d’aider leur patrie, sur la base du volontariat. De plus, sur le plan économique, Kim est connu pour avoir développé l’État-providence de la Corée du Sud.
Kim Dae Jung est également l’homme qui est à l’origine de la « politique du rayon de soleil » (poursuivi par le président suivant ainsi qu’actuellement par Moon Jae In). Cette politique d’engagement envers la Corée du Nord est composée de rencontres et de mises en place de projets entre le Nord et le Sud, ayant pour but d’établir une meilleure communication entre les deux pays. Ainsi, la Corée du Sud initie une rencontre avec la Corée du Nord et un sommet se tient avec Kim Jong Il en juin 2000 à Pyongyang. C’est la première fois que les dirigeants des deux Corée se rencontrent depuis que le pays a été divisé en 1948 et Kim Dae Jung est adulé pour ça. Il a d’ailleurs l’immense honneur de recevoir le prix Nobel de la Paix en octobre 2000 pour son implication dans l’amélioration des relations Nord-Sud. Grâce à cette politique, les relations entre les deux Corée s’améliorent quelque peu (disons qu’il y a au moins des échanges) et des familles séparées peuvent se retrouver ou se rencontrer.
Kim Dae Jung était un président qui avait pour souci d’améliorer l’image de son pays et l’envie de servir son peuple. Comme nous l’avons vu, après avoir été élu, il gracie les anciens présidents Chun Doo Hwan et Roh Tae Woo afin de laisser le pays repartir sur de bonnes bases.
Roh Moo Hyun (노무현)
Nom : Roh Moo Hyun ou No Muhyeon
Naissance – mort : 1946-2009
Présidence : de 2003 à 2008
VIe République
Roh Moo Hyun nait dans une famille de paysans modeste. Il ne fait pas d’études à l’université mais passe tout de même l’examen du barreau en 1975 qu’il réussit, lui permettant de devenir juge en 1977, puis avocat l’année suivante. En 1981, il fait la rencontre d’étudiants contestataires emprisonnés et torturés par le gouvernement Chun. Cela le motive à se spécialiser dans les droits de l’homme et il ouvre un cabinet avec Moon Jae In (l’actuel président). En 1988, il est élu député de centre gauche après avoir été invité à entrer en politique par Kim Young Sam. Cependant, lorsque ce dernier s’allie à Roh Tae Woo, Roh Moo Hyun rompt avec son parti. En effet, il ne souhaite pas s’associer à ce parti pro-militaire, favorisant plutôt les démarches démocratiques. Il finit alors par s’engager auprès de Kim Dae Jung lors de sa campagne électorale de 1997 et devient ministre des Affaires maritimes et de la Pêche en 2001.
En 2002, soutenu par Kim Dae Jung, il se présente aux élections présidentielles. Bien que le favori soit le conservateur Lee Hoi Chang, c’est Roh qui remporte, de très peu, les élections en décembre. Progressiste, son discours se porte essentiellement sur des négociations avec le Nord, critiquant notamment la politique américaine à cet égard. Il prend ses fonctions de président le 25 février 2003.
En mars 2004 , il est accusé d’avoir enfreint une loi électorale et doit se retirer pendant deux mois de la présidence jusqu’à ce que l’accusation soit annulée par la Cour constitutionnelle au mois de mai. Sa réputation chute et sa mauvaise gestion économique du pays pendant cette période ne l’aide pas.
Roh Moo Hyun est un président qui cherche à émanciper son pays de la tutelle américaine. De plus, étant favorable au rapprochement entre les deux pays de la péninsule, il donne suite à la « politique du rayon de soleil » de son prédécesseur. Il fait donc inaugurer le complexe industriel de Kaesong en 2004 (créée en 2002 à l’initiative de Kim Dae Jung) qui est une zone de libre-échange et un complexe manufacturier né de la collaboration économique des deux Corée et donc géré conjointement. Il est alors accessible directement par route et voie ferrée de la Corée du Sud, mais son accès y est interdit une première fois aux sud-coréens en 2013 pendant cinq mois par Pyongyang suite à la tension des relations diplomatiques. Il est rouvert pendant trois ans puis de nouveau fermé en 2016, par Séoul cette fois-ci, se justifiant de cet arrêt par la volonté de ne pas financer les investissements nucléaires de la Corée du Nord à travers l’argent investi dans ce complexe.
Dans la continuité de la politique du rayon de soleil, un deuxième sommet a lieu en octobre 2007 à Pyongyang avec Kim Jong Il malgré le lancement d’un essai nucléaire nord-coréen en octobre 2006 qui ternit l’image de cette politique. L’opinion publique estime également ce dernier comme un échec dans la gouvernance du président. Cependant, ce sommet de 2007 débouche sur un accord visant à apporter la paix dans la péninsule.
En décembre 2007, Roh présente un successeur pour les prochaines élections présidentielles mais celui-ci est battu par Lee Myung Bak.
Après avoir terminé son mandat, des membres de sa famille sont accusés de corruption et Roh Moo Hyun se serait suicidé en sautant d’une falaise en mai 2009.
Il était un ami très proche de l’actuel président Moon Jae In avec qui il a lutté contre la dictature dans les années 1980.
Un documentaire sort en 2017 pour lui rendre hommage et rencontre un franc succès en Corée. Il s’intitule « 노무현입니다 » (Roh Moo Hyun ibnida) traduit en « Notre président Roh Moo Hyun ».
Conclusion
Beaucoup de changements se sont produits pour la péninsule sud-coréenne ces vingt dernières années. Après avoir subi un régime dictatorial rude, la démocratie est lentement venue trouver sa place. Il a fallu une dizaine d’années pour qu’elle soit véritablement là, mais aujourd’hui les sud-coréens peuvent faire entendre leur voix. Un dialogue a également pu être mis en place avec la Corée du Nord. La communication n’est pas facile et les tensions sont toujours très présentes, mais c’est une deuxième très grande avancée dans l’histoire du pays.
Dans la prochaine et dernière partie, nous verrons que malgré le processus de démocratisation, tout n’est pas si rose au pays du matin calme.
Sources : Histoire de la Corée moderne de Pascal Dayez-Burgeon | Britannica (1) (2) (3) (4) | Universalis (1) (2) (3) | Perspective monde | Libération | Le Monde (1) (2) (3) (4) (5) |La revue des médias | The New York Times | Larousse | The Nobel Prize | L’Express (1) (2) | Le Temps
Sources images : Global Security | Britannica | Le Point | MY HERO | Britannica Kids