Né en 1929, Suh Se Ok est un artiste qui va se positionner très tôt comme une figure importante de la scène artistique (à vingt ans il remporte la première place de la première édition de la National Art Exhibition en 1949 notamment), au travers de son discours novateur et à contrecourant des mouvements contemporains. Il se tourne vers un médium bien spécifique qu’est la peinture à l’encre, pour véhiculer une nouvelle approche de cette forme d’expression considérée comme traditionnelle, au travers d’un art plus abstrait.
Redonner ses lettres d’or à la peinture à l’encre coréenne
La période suivant la domination japonaise et les guerres successives va être une période de transition très importante également pour les artistes. Suh Se Ok, issu notamment d’une famille dont le père était un partisan de l’indépendance coréenne, va très tôt se placer en meneur d’une nouvelle approche et exprimer la volonté de se détacher de formes d’expression liées à l’occupation japonaise. Il s’agit ici de retrouver une certaine forme de liberté également sur le plan artistique et culturel, et pour cela il choisit l’exercice d’une forme d’art ancienne, la peinture à l’encre.
Dans les années 1960, il forme un groupe autour de cette pratique avec d’autres artistes : le groupe Mungnimhoe, ou Ink Forest Society. Au-delà de la simple volonté de se libérer totalement de l’emprise japonaise, ce mouvement se forme également en réaction à la tendance que semble prendre la scène artistique coréenne à l’époque, au travers de l’adoption de techniques et idéologies occidentales, alors tournées vers l’innovation principalement.
En utilisant un médium traditionnel ancré dans des siècles d’Histoire à des fins modernes, le groupe a la volonté de montrer que la modernité peut également être ancrée dans l’histoire et la tradition. Utiliser une telle forme d’expression est sans doute également un moyen de renouer avec ses origines, après des années d’occupation étrangère et de conflits, et de montrer que la Corée est prête à s’ouvrir à un nouvel avenir. Le groupe permet d’apporter une nouvelle perspective et de montrer que la scène artistique et culturelle coréenne est capable de « rivaliser » avec les nouveaux mouvements occidentaux, dont l’influence sur certains artistes coréens qui tentèrent d’adopter ces schémas est très marquée (comme la formation d’un Art Informel coréen en réponse au mouvement d’Art Informel présent dans les années 1960 en Occident).
« Si l’avant-garde coréenne continue à s’approprier l’avant-garde occidentale, elle perdra bientôt sa compréhension de l’art. »
Artland Magazine
Précurseur de l’art abstrait dans le domaine de la peinture à l’encre
Suh Se Ok se distinguera donc en étant l’un des premiers à utiliser la peinture à l’encre à des fins modernes. Il propose désormais des formes plus abstraites, au travers de la calligraphie notamment : elle n’est plus considérée comme support de communication directe, mais par son biais il souhaite revenir à une certaine « primitivité » du geste, laissant les traits de pinceaux être les vecteurs d’un nouveau message et un questionnement au travers de formes inédites.
« La plus grande tradition est celle qui se demande dans quelle mesure elle peut être décomposée. »
Interview 1984, Art Forum
L’artiste puise ici dans sa connaissance de l’utilisation traditionnelle de la peinture à l’encre, notamment dérivée de l’art chinois de la peinture lettrée (11e – 12e siècle), également retrouvée en Corée sous la forme du Muninhwa à la période Joseon, pour développer une nouvelle forme d’expression centrée sur les notions de simplicité et spontanéité, aux interprétations en parallèle complexes et multiples. Dans son œuvre People, il explore ainsi au travers de l’utilisation dérivée du caractère chinois représentant « la personne » (人) les différentes palettes d’expressions et émotions humaines : par la figuration d’un trait de pinceau, il évoque ainsi une multitude, une variété.



Série de peintures à l’encre, People
Son identité artistique se remarque également autour de son travail sur les interactions entre plein et vide, pour donner une nouvelle perspective à ses traits, comme au travers de son œuvre Person. Mais il pousse également l’exploitation du médium en lui-même, en jouant sur les textures offertes par l’eau, l’encre et le papier pour réinventer et chercher de nouvelles applications d’un support et d’outils « simples », en témoigne son œuvre Work. Il nous plonge ainsi dans une réflexion autour des possibilités qu’il invite à explorer sans cesse, autour de la notion de « dispersion ».
Pour conclure
Suh Se Ok est un artiste qui n’aura de cesse d’enseigner (professeur à l’Université Nationale de Séoul) et d’inviter à se questionner autour de problématiques bien spécifiques. Son exploration perpétuelle de la forme autour de la peinture à l’encre au début de sa carrière offre ainsi de nouvelles perspectives et questionnements à une époque focalisée sur la création d’une identité artistique nationale au sortir de la période coloniale . Son travail continuera d’être représenté jusqu’à récemment (National Museum of Modern and Contemporary Art à Séoul et Gwacheon en 2005 et 2015, Maison Hermès à Tokyo en 2007, Museum of Fine Arts à Houston en 2008), témoignant de l’importance de son influence sur la scène artistique nationale et internationale.
Sources : Culture Coréenne (Supplément au N°103) | Daily Art Fair | KCI | Art News | Artland Magazine | Artforum | Center for Art Studies | Tokonoma Magazine
Sources Images : Art News | Artland Magazine