Du 9 juin au 19 novembre 2017, le musée Cernuschi consacre une exposition au peintre coréen Lee Ungno (이응노). Cinq salles présentent l’évolution de son travail d’artiste, ses recherches et ses explorations picturales. Telle une balade, on se promène devant les œuvres et on redécouvre l’histoire contemporaine coréenne car les œuvres de l’artiste sont imprégnées de la trouble époque qu’a connue la Corée au vingtième siècle. De l’occupation japonaise à la guerre, de l’emprisonnement politique à l’exil, Lee Ungno a réussi malgré tout à créer son propre style jusqu’à devenir l’un des artistes contemporains incontournables en Corée du Sud. Bien que son travail était fort apprécié dans les années 1970-1980 par les milieux artistiques, il reste assez méconnu en France. C’est donc une bonne occasion de le découvrir.
Mais qui est Lee Ungno ?
Né en 1904, Lee Ungno a grandi dans un climat complexe. D’abord formé à la peinture traditionnelle coréenne par le maître Haekang Kim Kyujin, il part ensuite pour le Japon où il se sensibilise à la peinture moderne et aux influences occidentales. À partir des années 1950, il rompt avec la peinture traditionnelle et explore l’art abstrait.
Arrivé en France -où il finit par s’installer définitivement en 1959-, il rejoint l’avant-garde parisienne composée de Hartung, Soulages ou Zao Wou-Ki. Entre 1967 et 1969, il est incarcéré en Corée du Sud, suspecté d’espionnage au profit de la Corée du Nord. Emprisonné à vie, il est par la suite relâché sous la pression internationale et retourne en France. Durant son incarcération, Lee Ungno a réalisé de nombreuses compositions, mêlant calligraphie et aspirations pacifiques. En 1971, il ouvre l’Académie de peinture orientale au musée Cernuschi. Dans les années 1980, son travail se concentre sur la figure des Foules. Il décède le 10 janvier 1989, en laissant derrière lui un style très prolifique et des centaines d’œuvres.
L’exposition
L’exposition est découpée en six salles qui retracent les expériences plastiques de l’artiste. La première salle présente les œuvres des années 1950. Lee Ungno commence à cette époque à développer un art pictural nourri par l’abstraction. Encore marquées par un style figuratif, les œuvres exposées dans cette salle représentent des scènes de vie, des animaux, des personnages et des créatures inspirées des classiques chinois.
La deuxième salle s’ouvre sur un tout autre champ de recherche : la calligraphie. Pendant et après son incarcération, Lee Ungno peint de nombreuses calligraphies dans lesquelles il transmet son sentiment vis-à-vis de son pays. Teintées de pacifisme et d’un vœu de réunification, ces œuvres calligraphiques mêlent hanja et hangeul tout en adoptant un style propre à l’artiste.
En quittant le monde des mots calligraphiés, on arrive dans un espace consacré aux arbres de sagesse que sont les bambous. Cette pause picturale est une sorte de retour à la peinture classique coréenne. Ces peintures sobres et maîtrisées montrent l’attachement qu’avait ce peintre contemporain pour les arts traditionnels de son pays. Elles nous permettent de mieux appréhender sa recherche picturale novatrice. C’est aussi un moyen pour l’artiste de se remettre de son incarcération. En effet, il s’associe aux bambous qui ploient sans jamais rompre.
Quant à la quatrième salle, elle est consacrée à une courte mais prolifique période d’expérimentations durant laquelle l’artiste a travaillé sur des assemblages de papier et de couleurs. Elle marque la transition avec ses recherches sur les collages présentées dans la salle suivante.
Les collages de Lee Ungno ont ceci de particulier qu’ils assemblent différents types de papier à des textures variées. À la fois rigides et translucides, les feuilles qu’ils associent forment des structures abstraites complexes et subtiles. Mais très vite, cependant, l’artiste ressent le besoin d’intégrer de l’encre à ses collages, retournant à son premier amour, la peinture.
Enfin, l’exposition se clôture avec une salle consacrée à la dernière décennie de l’artiste. Pendant les année 1980, Lee Ungno s’intéresse à la figure des foules et peint d’immenses peintures figurant des personnages en mouvement. Loin d’être anodines, ces foules symbolisent le mouvement de protestation qui traversa la Corée avec l’insurrection de la ville de Gwangju et le massacre du 18 mai 1980. Dans cette salle, vous trouverez aussi les sculptures et objets d’arts décoratifs que l’artiste a créés de son vivant.
Un artiste polymathe
En effet, Lee Ungno était un artiste polymathe, c’est-à-dire qu’il s’intéressait à toutes les formes d’art et s’imprégnait des styles qu’il découvrait pour mieux les redéfinir avec sa propre patte. Il excella d’abord dans les techniques coréennes classiques avant de partir pour le Japon et de s’approprier l’art du Sumi-é. Puis, marqué par le mouvement abstrait qui galvanisait les artistes occidentaux, Lee Ungno quitta progressivement la figuration pour créer un art abstrait asiatique unique. Ses sujets de prédilection furent les bambous, les vagues, l’eau et bien sûr les foules. Lee Ungno était aussi un maître qui fonda plusieurs courants. En 1945, il fonda l’institut GO AM et dirigea les études de peinture orientale à l’Université de Hong Ik. Deux décennies plus tard, il créa l’Académie de peinture orientale de Paris. Depuis, deux générations d’artistes ont participé à la création d’un mouvement d’art franco-coréen.
Les bonnes raisons d’aller voir L’homme des Foules, Lee Ungno
Pendant environ une heure, vous vous promènerez dans l’histoire contemporaine de la Corée. De plus, vous pourrez lire la vie d’un homme et de son époque à travers ces œuvres. Si vous êtes familiers des arts plastiques, vous pourrez apprécier la superbe technique de lavis de Lee Ungno.
Vous pourrez ainsi appréhender la peinture asiatique par un autre filtre que les estampes japonaises ou que la peinture chinoise. Les jeux calligraphiques qu’il développe dans les années 1970 valent vraiment le détour et ils vous permettront, grâce aux cartels, d’apprendre du vocabulaire, ce qui, ce me semble, rendra plus d’un apprenant en coréen très heureux. Si vous téléchargez l’application de l’exposition, vous pourrez aussi accéder à des sources d’information plus poussées qui compléteront les cartels, l’audioguide et les panneaux explicatifs.
Informations supplémentaires
L’exposition n’est pas si coûteuse, avec ses 9 euros plein tarif et 6 euros pour les tarifs réduits. À la fin de l’exposition, vous pourrez accéder à l’exposition permanente gratuite située à l’étage. Elle est consacrée à l’histoire de Chine à travers de nombreux objets d’art et de la civilisation. Vous pourrez notamment voir le Bouddha Amida imposant qui surplombe les salles du musée. Il y a aussi une mini-exposition sur Pak Wulian, une artiste chinoise contemporaine de Lee Ungno, dont le travail est plus centré sur la linogravure. Pour clôturer votre visite, la boutique propose des livres sur l’art coréen, des romans ou des carnets.
Enfin, si vous souhaitez vous amuser, vous pouvez créer vos propres foules grâce à l’application de l’exposition et aux jeux que le musée a créés à cette occasion.
Article rédigé par Casado Hélène.