Après avoir gagné le prix FlyAsiana du FFCP en 2022, la réalisatrice Jo Ha Young est revenue présenter son court-métrage « Remember our Sister » à la 18e édition du FFCP, début novembre. Pour l’occasion, elle a accepté de s’entretenir avec le hibou Liz pour parler de son travail.
Jo Ha Young, la lauréate du prix FlyAsiana de la 17e édition du FFCP
À 25 ans, en plus d’être étudiante en théâtre, Jo Ha Young est une réalisatrice qui a déjà fait ses preuves.
Lors de la 17e édition du FFCP en 2022, son court-métrage Remember our Sister, une comédie musicale dramatique inspirée de faits réels, avait remporté le prix FlyAsiana de la sélection ShortCuts. Elle a donc été invitée par le FFCP à revenir cette année pour présenter une nouvelle fois son court-métrage. Celui-ci suit une petite fille dénommée Hong, qui s’amuse dans un village construit pour divertir l’armée américaine en 1980, avant de réaliser que sa grande sœur ne s’amuse pas autant qu’elle.
Lors de cette séance spéciale FlyAsiana étaient également projetés le documentaire Sister’s Room et Kids Land, un film sur lequel Jo Ha Young a travaillé en tant que scénariste.
Entretien avec Jo Ha Young
Les entretiens avec Jo Ha Young étant prévus pour le week-end du 4 et 5 novembre, l’équipe du FFCP a été en mesure de trouver une vingtaine de minutes dans la semaine pour que K.Owls puisse s’entretenir avec la réalisatrice. C’est donc le 3 novembre, après avoir présenté ses trois courts-métrages et avoir répondu aux questions du public pendant un peu plus d’une heure, que Jo Ha Young a rejoint Liz dans une salle du Publicis Cinéma afin de répondre à ses questions.
Vous revenez cette année dans le cadre de la sélection FlyAsiana, après avoir remporté le prix l’année dernière pour votre court-métrage Remember our Sister. Qu’est-ce que cela vous a fait d’avoir remporté ce prix ?
Comme je savais que la France et les États-Unis avaient des relations assez fortes, je me demandais si le sujet abordé dans Remember our Sister [ndlr : des Coréennes victimes de violences sexuelles commises par des soldats américains dans les années 1980] plairait en France. Je m’étais beaucoup inquiétée quant à la possibilité que mon film ne soit pas sélectionné au FFCP. Mais finalement, j’ai été récompensée du prix du meilleur court-métrage ! Ma première réaction était donc la surprise. Ensuite, j’ai été tellement joyeuse que j’en ai sauté de joie !
Dans Remember our Sister, vous abordez la présence des bases américaines en Corée du Sud et les exactions qui en ont découlées. Ces événements sont peu connus, au contraire de ce qu’il s’est passé avec les « femmes de réconfort ». Est-ce la raison pour laquelle vous avez décidé de réaliser un court-métrage sur ce sujet ?
Mon objectif était de montrer une histoire vraie, dans un monde où l’histoire tend à se répéter. Il y a beaucoup de pays qui sont encore en guerre aujourd’hui dans le monde. La Corée est par exemple toujours en Guerre froide. Pour mettre fin à ce genre de faits, je pense qu’il faut continuer de se souvenir et de se remémorer ce qu’il s’est passé, de ne pas oublier que ce genre d’action a eu lieu. C’est pour cela que j’ai choisi d’aborder ce sujet.
Ce court-métrage aborde une période sombre de la Corée. Comment vous est venue l’idée d’en faire une comédie musicale ? Cette approche, étonnante au premier abord, sert-elle à appréhender plus facilement la triste réalité ?
Les faits qui se sont passés dans ces camps, c’est-à-dire les violences sexuelles faites aux femmes, sont très violents. Pour moi, il était hors de question de le montrer à l’écran de façon concrète. Ce genre d’images a été utilisé à mauvais escient à trop d’occasions et je ne voulais pas que mon film soit utilisé dans cette optique. C’est pour cela que j’ai fait le choix de raconter cette histoire en adoptant le point de vue d’un enfant. J’ai fait une comédie musicale car je pense que la musique marque énormément les esprits et aide à faire retenir une histoire. Il me semblait donc évident de mettre de la musique dans mon film.
Par ailleurs, avez-vous effectué un travail de recherche spécifique pour réaliser ce film ? Vous êtes-vous par exemple entretenue avec des victimes ou des témoins ?
Je me suis rendue dans plusieurs lieux où ces faits se sont déroulés. Je voulais m’y entretenir avec des victimes. Mais comme ces lieux, qui étaient ouverts au public, ont trop attiré l’attention, ils ont été fermés depuis. Je me suis donc surtout inspirée de documentaires, de livres et de pièces de théâtre sur le sujet. Je me suis aussi beaucoup inspirée des entretiens présents dans ces documentaires.
Votre documentaire Sister’s Room est également présenté dans la sélection FlyAsiana. Comme dans Remember our Sister, les liens fraternels entre sœurs sont au cœur du documentaire. Est-ce quelque chose qui vous tient particulièrement à cœur ?
Ma vraie sœur apparaît dans Sister’s Room. J’ai toujours eu ce fort lien de fraternité avec ma sœur. C’est quelque chose qui faisait partie de moi et qui est sorti assez naturellement. C’était un choix inconscient, je n’y avais pas réellement songé. C’est dans cette même logique que j’ai créé des personnages de sœurs dans Remember our Sister et que je me suis principalement concentrée sur des personnages de femmes dans mes réalisations.
Vous avez travaillé un certain temps dans un centre pour les droits des femmes à Séoul. Le fait d’aborder les violences sexuelles, et de manière plus générale, le harcèlement envers les femmes en Corée, était-il un objectif de Sister’s Room ?
Lorsque j’ai réalisé ce documentaire, je commençais tout juste à m’intéresser aux droits des femmes. En tant que femme, je voulais parler de ce qu’est la vie d’une Coréenne et des environnements qu’elle peut traverser dans sa vie, à travers un film. Par coïncidence, la réalisation du documentaire s’est déroulée quelques temps après le meurtre d’une femme dans la station Gangnam [ndlr : en 2016, un homme a assassiné une femme qu’il ne connaissait pas dans les toilettes de la station Gangnam, sous prétexte qu’il détestait les femmes]. Je voulais donc aborder ce sujet de manière naturelle avec ma sœur, dans un espace confortable, cette chambre. Ensuite, à partir de cette chambre, je voulais aussi explorer d’autres environnements, comme ceux qu’on voit dans le documentaire.
Une dernière question pour terminer. Vous avez assisté Kim Won Woo à la réalisation du dernier film de la sélection, Kids Lands. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?
À vrai dire, le réalisateur Kim Won Woo est mon petit ami (rires). Comme je vis avec lui, j’ai pu suivre son travail et la création du film Kids Land. J’ai trouvé remarquable à quel point il était attentionné envers ses acteurs et son équipe technique. Kids Land est un film étudiant donc il était très dur de respecter les horaires légaux sans prendre de temps pour se reposer, dormir et manger. Malgré tout cela, il a veillé à ce que les règles soient respectées et qu’on ait toujours le temps de se reposer. C’est donc un réalisateur avec qui je voudrais continuer de travailler tout le reste de ma carrière.
Nos remerciements à Jo Ha Young pour avoir pris le temps de répondre à nos questions et à l’équipe du FFCP pour avoir rendu possible cette rencontre, notamment en s’occupant de l’interprétariat !
Photographie : Yassmine Henni