Ce 31 octobre, le film Smugglers a ouvert la 18e édition du FFCP. Le hibou Liz a eu l’opportunité de s’entretenir avec son réalisateur Ryoo Seung Wan, qui était présent pour l’occasion, pour K.Owls.
Ryoo Seung Wan à la 18e édition du FFCP
Depuis ses débuts en 2000, Ryoo Seung Wan s’est affirmé comme un réalisateur important du cinéma sud-coréen. Connu du grand public pour ses films Escape from Mogadishu, The Battleship Island ou encore Veteran, il a également remporté de nombreuses récompenses en Corée et en Asie. Mais Ryoo Seung Wan est aussi un habitué du Festival du Film Coréen de Paris (FFCP), qui a projeté quatre de ses réalisations depuis 2010.
Lors de cette 18e édition du FFCP, que K.Owls a pu couvrir (un article revenant sur cette édition 2023 sera prochainement publié), c’est la dernière réalisation de Ryoo Seung Wan, Smugglers, qui a fait l’ouverture. Ce film suit deux haenyeo (des plongeuses originaires de Jeju et qui pêchent les crustacés) qui doivent arrêter leur activité de pêcheuses et qui sont embarquées dans la contrebande après avoir fait la connaissance d’individus suspects.
Pour cette occasion, le réalisateur est venu présenter son film, dans le cadre d’une rencontre avec le public, puis d’une interview accordée à K.Owls.
Entretien avec Ryoo Seung Wan
Le mercredi 1er novembre, le lendemain de l’ouverture du FFCP, Liz, rédactrice à K.Owls a pu s’entretenir avec Ryoo Seung Wan, dans un espace loué par l’équipe du Festival aux alentours de l’Arc de Triomphe. Dans une ambiance décontractée, Liz a ainsi pu poser une dizaine de questions au réalisateur.
Après être passé à Bruxelles, Smugglers a été projeté devant une salle comble, pour l’ouverture du FFCP. Qu’est-ce que cela fait de voir son film rencontrer le succès dans des festivals européens ?
Je ne savais que mon film avait été projeté à Bruxelles (rires) ! Bien sûr que je suis heureux, car c’est toujours excitant de pouvoir rencontrer un large public. Mais en tout cas, présenter mon film ici, au Festival du Film Coréen de Paris, est toujours quelque chose de très particulier pour moi, car c’est très rare qu’un festival constitué uniquement de bénévoles puisse se tenir sur dix-huit ans sans cesser de rayonner. J’ai vraiment beaucoup d’affection pour l’équipe du festival et le public car il s’agit de cinéphiles qui étaient intéressés par le cinéma coréen avant la vague d’engouement qu’on lui connait actuellement. En fait, c’est la quatrième fois que je viens et je remarque qu’il y a de plus en plus de personnes françaises qui parlent coréen. En tant que réalisateur, cela me fait très plaisir. Mais surtout, en tant que Coréen, cela me touche beaucoup. C’est un très grand honneur.
Depuis le début de votre carrière de réalisateur, vous avez eu l’opportunité de travailler en tant qu’acteur. Cette expérience a-t-elle influencé votre manière de réaliser des films ?
I used to be (rires) ! À vrai dire, je n’ai jamais été un acteur professionnel. Je ne me suis jamais pensé comme un « acteur ». J’ai été « comédien », mais cela s’inscrivait dans la continuité de mon travail de mise en scène en tant que réalisateur. Par contre, on dit parfois que les réalisateurs transmettent des traces aux acteurs qu’ils dirigent. On m’a demandé si certains de mes tics se retrouvaient dans le jeu des acteurs Jo In Seong et Park Jeong Min. Personnellement, je pense qu’ils se retrouvaient davantage chez Jo In Seong. Mais tout le monde me dit qu’on les remarque plus chez Park Jeong Min (rires). Le débat reste ouvert…
Lors de la cérémonie d’ouverture du FFCP, vous avez rappelé que le cinéma coréen ne se limitait pas à Bong Joon Ho et Park Chan Wook. Pouvez-vous nous en dire plus ?
À vrai dire, beaucoup de monde a déjà vu Parasite. Moi-même, je suis le premier à être allé voir Parasite ! Mais un vrai cinéphile, passionné par le cinéma coréen, devrait également voir des films qui n’ont pas bénéficié d’une si large diffusion. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a énormément de pépites encore inconnues dans le cinéma coréen. Je parle de films d’aujourd’hui, de petits films, mais également de grands classiques coréens méconnus. J’imagine que c’est également le cas en France. Bien sûr, quand on veut s’initier au cinéma coréen, on commence toujours par les films de Park Chan Wook ou de Bong Joon Ho. C’est un très bon départ. Mais il faut aussi aller voir d’autres films. Les films coréens débordent d’originalité et je pense qu’il est préférable d’avoir un aperçu plus général de cette diversité.
Justement, quels classiques ou « pépites » recommanderiez-vous ?
Le site Korean Film Archive dispose d’une chaîne YouTube où sont disponibles de nombreux classiques coréens méconnus. Je vous recommande chaudement le film Last Witness. Il peut y avoir des gens qui ne l’ont jamais vu, mais il n’existe personne qui ne l’ait vu qu’une fois.
Smugglers bénéficie d’un casting très efficace. Le trio féminin a par ailleurs une superbe alchimie. Aviez-vous ce casting en tête dès le départ ?
J’ai eu beaucoup de chance pour Smugglers : les acteurs auxquels je pensais depuis le début m’ont tout de suite dit oui. Il s’agissait de mon premier choix. Il arrive parfois qu’on ait en tête certains acteurs mais qu’ils ne soient pas disponibles pour telle ou telle raison. Cette fois-ci, j’ai été très chanceux car Kim Hye Soo et Yeom Jeong A étaient disponibles. Aujourd’hui, de nombreux films coréens sont présentés en France. Mais ce sont avant tout les réalisateurs qui sont connus. Bien que les acteurs viennent présenter leurs films au Festival de Cannes, ils ne bénéficient pas d’une grande popularité. C’est dommage car en Corée, il y a énormément d’acteurs talentueux. J’aimerais beaucoup que les spectateurs prêtent davantage attention aux acteurs, et pas seulement aux réalisateurs.
Tout comme The Battleship Island, l’action de Smugglers se situe dans un contexte historique propre à la Corée. Quelles raisons vous ont motivé à choisir le cadre des années 1970 ?
À vrai dire, ce contexte historique a été le fil directeur de la société de direction dès le départ : le producteur de Smugglers, Cho Sung Min, était allé visiter un musée en province et y avait pris connaissance d’un incident lors duquel des haenyeo avaient été mêlées à une histoire de contrebande dans les années 1970. Ces années 1970 me parlaient beaucoup, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’était justement parce que les années 1970 représentent le début d’une politique d’industrialisation en Corée. C’était également une période d’oppression et de contrôle. À l’époque, nous étions en pleine Guerre froide et tout était contrôlé par la dictature militaire. Il y avait de nombreuses restrictions, également dues à la division entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Quand on voulait aller à l’étranger, on devait obtenir l’accord de l’État. Comme vous le voyez dans le film, cela menait au développement de la contrebande de jeans, de crackers… Des choses totalement insignifiantes aujourd’hui. Le gouvernement criminalisait des choses qui ne sont en rien des crimes. C’étaient ces aspects-là qui m’intéressait. La culture populaire des années 1970 a également agi comme un aimant : j’ai un souvenir encore assez vivace des stars et de la musique des années 1970, que j’écoutais quand j’étais enfant. Cela m’amusait de recréer cette époque à l’écran. C’était un peu comme si j’étais parti à la recherche de mon enfance.
Les héroïnes du films étant des haenyeo, on retrouve dans Smugglers plusieurs scènes sous-marines, qui sont très réalistes et immersives. Le tournage de ces scènes a-t-il été facile ?
En Corée, c’était la première fois qu’on effectuait ce genre de tournage en termes de technicité. On a réellement commencé la préparation de ces scènes juste après avoir fini la rédaction du scénario. Cela a été très difficile. Bien sûr, on rencontre souvent de nombreux obstacles au cours d’un tournage, donc cela fait partie du jeu. En général, j’aime bien expérimenter de nouvelles choses lorsque je tourne et les gens qui travaillent autour de moi en pâtissent. Le seul moyen de parvenir à une solution, c’est d’essayer, encore et toujours, de se réunir et de discuter. Je ne peux vous en dire plus sur les scènes sous-marines en particulier parce que j’avoue que moi-même, je ne sais pas comment on fait pour les réussir (rires).
Les actrices ont-elles eu un entraînement spécifique pour tourner ces scènes sous l’eau ?
Cela peut paraître très étonnant, mais parmi les six actrices qui jouent les haenyeo, une seule savait nager. Malgré cela, seule Yeom Jeong A m’a avoué avant le début du tournage qu’elle ne savait pas nager. Les autres actrices m’ont dit qu’elles savaient très bien nager, parce qu’elles voulaient absolument avoir le rôle. Au milieu du tournage, je ne savais toujours pas qu’elles ne savaient pas nager, car elles étaient comme des poissons dans l’eau. Elles étaient vraiment très naturelles. Après, elles ont fourni énormément d’efforts pour s’acclimater à l’eau et ont reçu des cours de plongée pendant trois mois.
Pour conclure cet entretien, pouvez-vous me dire si vous avez profité du FFCP pour échanger avec d’autres réalisateurs ou personnes du monde du cinéma ?
Oui ! Lors de la première journée du festival, j’ai pu rencontrer les réalisateurs coréens qui font des films d’animation. Ils sont l’avenir du cinéma coréen, donc j’ai intérêt à bien m’entendre avec eux (rires) !
Tous nos remerciements au réalisateur Ryoo Seung Wan pour sa disponibilité et sa gentillesse, ainsi qu’à l’équipe du FFCP pour avoir rendu cet entretien possible !
Photographie : Yassmine Henni