Avec Je vais ainsi, premier roman publié en français, Hwang Jung Eun propose un livre atypique, mélancolique, parfois bouleversant. À travers l’histoire de deux sœurs et leur frère de cœur, on aperçoit une Corée du Sud fermement accrochée à la famille dite « traditionnelle ».
Avant-propos
Hwang Jung Eun commence sa carrière littéraire en 2005 et fait partie de ces nouvelles auteures apportant un nouveau souffle à la littérature coréenne. Plébiscitée par les lecteurs et la critique, elle gagne de nombreux prix pour ses ouvrages. Toutefois, elle refuse un prix d’une revue littéraire en 2014 : celle-ci a publié des textes de Park Geun Hye, destituée de la présidence et condamnée pour corruption.
En France, sa bibliographie se limite à deux romans : Cent ombres (roman paru en 2022) et celui qui nous intéresse ici, Je vais ainsi. Publié en 2014, il arrive en 2021 dans les rayons des librairies françaises.
Livre à trois voix, on y suit le quotidien des sœurs So Ra, Na Na et de Na Ki. Mais la grossesse de Na Na, issue d’une liaison avec un homme hors mariage, perturbe sa sœur. De leur passé, leur rencontre et leur lien, l’auteure nous invite à les découvrir dans toutes leurs nuances.
Mon avis sur le livre Je vais ainsi
Chaque chapitre est une plongée dans le quotidien et les pensées de chacun de nos protagonistes. Chacun a sa perception, son passé et un ressenti face aux événements. Mais ce livre demande un certain recul pour être compris.
D’une part, par son style : les observations, pensées et dialogues des personnages se confondent sans cesse et sans distinction des uns des autres. Il y a de quoi se perdre dans le fil de la lecture au début. Peut-être un effet de traduction : est-ce que le caractère du texte coréen s’altère en français ? Une fois la surprise passée, la lecture reprend son cours.
Se mêlent également le passé et le présent. Inextricable. Les personnages semblent piégés, aux prises avec un passé imposé dès leur enfance. Le présent, lui, est monotone, sans surprise. À part la grossesse de Na Na, peu d’événements viennent enrichir leurs vies.
« Il n’y en a pas beaucoup, de bonnes choses.
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Il ne faut donc pas vivre en les espérant.
Plus on espère, plus on est déçu, plus on souffre. »
D’autre part, le factuel, neutre, se mêle à la violence sous-jacente. Comme si les personnages mettaient une distance pour ne pas s’y confronter. Pourtant, il y a d’innombrables questions qui tournent sans cesse dans leurs têtes. Sans compter la violence qui peut survenir à n’importe quel moment, et celle des mots.
« Lorsqu’il était enfin sorti des engrenages, il n’était plus un être capable d’émettre un son. Il n’avait plus le même concept. Il en était arrivé là alors qu’il avait travaillé dur. C’est tout. C’était tout ce qu’il était devenu. Vois-tu, quand un humain n’est plus une entité, même petite, quand il est détruit, cassé, devenu un petit tas informe, où doit-on dire qu’il est ? Qu’est-ce qu’on doit dire qu’il est ? »
Page 26
En filigrane, l’image de la société coréenne est écornée. Celle qui n’accepte pas les familles monoparentales. Celle qui délaisse les enfants et abuse de sa position familiale. Une société où l’amour ne semble pas exister. Seulement une continuité de ce qu’il faut faire. Et dans cette société, des individus que l’on ne souhaite pas voir, qui souffrent et arrivent néanmoins à obtenir une forme de liberté.
« Es-tu sûr de vouloir m’épouser ?
Oui.
Parce que j’attends ton enfant ?
C’est une suite normale.
Une suite normale ?
N’est-ce pas évident ? me renvoie-t-il en guise de réponse et je lui rétorque, Ce n’est pas évident.
Je n’ai pas l’intention de me marier avec toi. »
Page 155
Où trouver Je vais ainsi ?
Je vais ainsi, Hwang Jung Eun, traduit par Jeong Eun Jin et Jacques Batilliot, Éditions Zoé (Suisse), septembre 2021, ISBN : 978-2-88927-921-0, au prix de 20 euros.
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