La romanisation, ça vous parle ? Saviez-vous qu’il existe différentes façons de transcrire la langue coréenne dans notre alphabet ? Qu’il y a des règles de romanisation et des méthodes officielles ? C’est ce que nous allons développer dans cet article, afin que vous ne vous demandiez plus pourquoi on écrit parfois le nom de famille 이 « Lee », « Yi », « Rhee » ou encore d’autres façons…
NB : J’utilise la romanisation révisée du coréen dans cet article car c’est celle que l’on utilise dans la ligne éditoriale du site. Je spécifie cependant entre parenthèses une autre romanisation si besoin.
NB 2 : Cet article n’est pas fait pour apprendre le hangeul, mais pour comprendre les différentes façons de l’écrire dans notre alphabet. Je ne vais donc pas non plus rentrer dans les détails de prononciation de chaque système car ce n’est pas le but, je souhaite simplement vous faire prendre conscience des différents systèmes de transcription.
Parlons « romanisation »
Pour commencer, avant d’évoquer les spécificités des différentes façons de transcrire le coréen, posons-nous la question suivante : qu’est-ce que la romanisation ? C’est le fait de transcrire une langue écrite avec des signes (ici, le coréen, initialement écrit en 한글 (hangeul)) en alphabet latin, selon la prononciation du mot.
Si vous débutez dans l’apprentissage de la langue coréenne, vous allez vite vous rendre compte que la romanisation est assez vue en « horreur ». Il est évidemment conseillé d’apprendre la langue directement depuis le hangeul et non depuis la romanisation pour éviter les fautes de prononciation engendrées par cette transcription. Cependant, il y a des moments où nous sommes obligés d’utiliser un système de transcription, comme dans les documents universitaires par exemple. Dans ce cas, sachez qu’il y a des règles à respecter pour romaniser le coréen, et qu’il existe plusieurs systèmes pour le faire, selon si vous retranscrivez du coréen du Nord, du coréen du Sud, ou si vous rédigez des écrits universitaires/scientifiques.
En France, les trois principales romanisations sont McCune-Reischauer, le coréen révisé (pour le Sud) et une révision de McCune-Reischauer (pour le Nord).
La transcription de base : la romanisation McCune-Reischauer
Créée à la fin des années 30 par George M. McCune et Edwin O. Reischauer, c’est le premier système de romanisation qui a été mis en place dans les deux Corées en 1948. La transcription se fait selon la prononciation des phonèmes et utilise des signes diacritiques : des brèves (v) pour marquer certaines voyelles et des apostrophes (‘) pour accentuer certaines consonnes.

NB : Le « / » sépare les phonèmes selon leur romanisation en début de mot (avant le « / ») ou en fin de mot (après le « / »). Attention cependant, le tableau ne met pas en avant les règles de romanisation en fonction des groupes de consonnes médianes (changement phonétique en fonction de la fin d’un mot et du début du mot suivant). Il en est de même pour les trois tableaux.
Chaque côté de la péninsule y a ensuite apporté des modifications et le Sud l’a complètement abandonné en 2000 pour créer son propre système (que nous verrons par la suite).
Même si elle n’est plus le système officiel de la Corée du Sud, la romanisation McCune-Reischauer reste tout de même la transcription la plus utilisée dans les écrits académiques, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est le système qu’a décidé de garder la Bibliothèque du Congrès (Library of Congress) qui est la bibliothèque nationale américaine, de ce fait, la plupart des écrits anglophones utilisent cette romanisation. D’autre part, c’est une façon de permettre un « entre-deux » entre les systèmes de transcription du Nord et du Sud de la Corée, afin de ne pas prendre partie pour l’un ou pour l’autre. En effet, écrire avec le système de transcription sud-coréen, c’est prendre position pour le Sud. Ainsi, dans un document évoquant les deux Corées, le chercheur préférera certainement utiliser la romanisation McCune-Reischauer plutôt que la romanisation révisée du Sud. Ce sont des réflexions sur lesquelles il est important de s’interroger avant de choisir la transcription que l’on va utiliser dans ses écrits.
Valérie Gelézeau, géographe française spécialisée sur les Corées, le retranscrit très bien dans son article Le mur coréen et les mots pour dire la Corée. De la frontière spatiale à la méta-nation , lorsqu’elle parle de son choix d’utiliser McCune-Reischauer :
Loin d’être une petite manie de chercheur, ce choix, certes insatisfaisant, est parfois dicté par la nécessité de situer son discours. Utiliser la transcription de la Corée du Sud pour écrire sur l’histoire de la Corée avant 1945, ou pour parler de la Corée du Nord, situe le discours depuis la Corée du Sud, dans une perspective qui, dans une certaine mesure, a pour référence justement le Sud, comme si la Corée du Nord, en fait, n’existait pas en tant que telle. Or cette posture n’est pas la mienne, moi qui écris depuis la France, et dans une perspective non pas politique ou politisée, mais scientifique.
Gelézeau Valérie, « Le mur coréen et les mots pour dire la Corée. De la frontière spatiale à la méta-nation », Raison présente, 2017, vol.2, n° 202, p. 21-31.
Vous l’avez donc compris, pour les écrits scientifiques, c’est McCune-Reischauer qui prime le plus souvent. Cependant, sur le net, c’est la romanisation révisée du coréen que l’on voit partout, et c’est donc celle que vous connaissez certainement. Laissez-moi vous la présenter plus en détail.
La transcription sud-coréenne : la romanisation révisée
Après plusieurs modifications apportées au système de transcription basé sur la romanisation de McCune-Reischauer en 1959 et 1984, c’est en 2000 que le sud de la péninsule décide de changer complètement son système pour passer à la romanisation dite « révisée ». Pourquoi ce changement ?
Comme nous l’avons vu, l’ancien système était composé de brèves et d’apostrophes. Quand l’usage de l’ordinateur s’est démocratisé à la fin des années 90, il est devenu difficile d’utiliser ce système avec le clavier, et les gens en venaient donc à ne plus préciser ces diacritiques, ce qui posait des problèmes pour distinguer certains sons comme ㄱ/ㅋ (k/k’), ㄷ/ㅌ (t/t’), ㅂ/ㅍ (p/p’), ㅈ/ㅊ(ch/ch’) pour les consonnes ou encore 어/오 (ŏ/o), et 으/우 (ǔ/u) pour les voyelles, qui se ressemblent beaucoup. Et vous vous doutez bien que, comme en français, en changeant une lettre (un phonème ici notamment), on peut complètement changer le sens du mot. De plus, l’ancienne transcription ne représentait pas assez bien le changement de prononciation des consonnes selon leur position dans un mot. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais selon la place de la consonne, si elle se trouve au début, au milieu ou en fin de mot et selon le début du mot suivant, elle ne se prononcera pas forcément de la même façon non plus. Par exemple, ㄱ peut se prononcer « k » ou « g » selon sa place :
한국 – hanguk (la Corée)
한국어 – hangugeo (le coréen)
Ici le « k » final de hanguk est devenu un « g » lorsqu’on lui rajoute le phonème « eo »

Ainsi, la nouvelle romanisation n’utilise plus aucun signe diacritique (à l’exception du tiret de temps à autre). Elle distingue donc ses voyelles en utilisant deux lettres pour certaines (어 = eo, 으 = eu, et ㅐ= ae (cette dernière s’écrivait déjà ainsi dans l’ancien système). Pour ce qui est des consonnes simples, ㄱ ㄷ ㅂ ㅈ vont majoritairement s’écrire avec les lettres g, d, b et j (k, t, p, ch lorsqu’elles se trouvent en fin de mot). Quant aux consonnes expirées ou doubles ㅋ, ㅌ, ㅍ, ㅊ, elles vont s’écrire avec les lettres k, t, p, ch. Il y a donc maintenant une différence concrète entre les deux types de consonnes, là où elle n’était marquée que par l’apostrophe dans le système McCune-Reishauer et donc facilement occultée avec la saisie sur clavier.
NB : Une chose importante à savoir, c’est que la romanisation révisée n’est pas imposée pour les noms de famille coréens. C’est pourquoi on retrouve plusieurs façons de les écrire, comme nous l’avons vu avec l’exemple du nom de famille 이 en introduction.
Le principal avantage du changement pour la romanisation révisée
Le principal avantage est qu’elle représente mieux les règles phonologiques du coréen, tout ce qui est donc de l’ordre de l’assimilation des consonnes (le changement de prononciation selon leur place dans un mot), de la palatalisation, etc.
Le principal inconvénient pour la romanisation révisée
Comme vous vous en doutez, le principal inconvénient revient à l’apprentissage de la langue pour les étrangers. La nouvelle romanisation est assez complexe si on ne se penche pas correctement dessus dès le début, et beaucoup de personnes n’apprenant pas le coréen ou étant grands débutants lisent des mots romanisés en faisant de lourdes fautes de prononciation. Par exemple, on peut souvent entendre les voyelles transcrites par deux voyelles dans notre alphabet être toutes deux prononcées alors qu’il ne faudrait pas. Ainsi, le chien, 개, qui se prononce littéralement « kè » (/kɛ/) mais s’écrit avec un « a » en romanisé, donc « kae », va souvent être prononcé « k-a-è » par les personnes qui ne connaissent pas les règles de prononciation du coréen. La romanisation révisée entraîne donc beaucoup d’erreurs phonétiques. C’est pourquoi il est important de ne pas se familiariser avec la romanisation lorsqu’on est débutant.
Pour autant, il est très difficile de transcrire une langue étrangère le plus fidèlement possible, surtout lorsque nos phonèmes sont différents.
Enfin, voyons maintenant quelle est la romanisation utilisée en Corée du Nord.
La transcription nord-coréenne : une version modifiée de la romanisation McCune-Reischauer
La transcription de Corée du Nord est elle toujours une variante de McCune-Reischauer, qui a été révisée une première fois en 1992 puis une deuxième fois en 2002. Vous pourrez remarquer que l’ordre de présentation des phonèmes n’est pas le même que pour le Sud.

À savoir qu’en Corée du Nord le système d’écriture ne s’appelle pas le hangeul (hangŭl) (la Corée du Sud se disant hanguk en sud-coréen) mais le joseongeul (chosŏn’gŭl) (la Corée du Nord se disant joseon (chosŏn) en nord-coréen). Cela peut paraître compliqué mais il existe en fait quatre façons différentes de nommer la Corée selon si l’on se trouve au Nord ou au Sud (le Sud a sa propre façon de dire Corée du Nord et Corée du Sud, et inversement pour le nord de la péninsule). L’épisode 9, du podcast de Revue Tangun explique cela très bien, je vous conseille donc d’aller l’écouter si vous voulez comprendre ces disparités.
Pour aller plus loin
Une autre transcription : la romanisation Yale
Il est possible que vous entendiez parler d’un autre système de transcription qui est la romanisation Yale. Elle est cependant très peu utilisée aujourd’hui et plutôt en linguistique car elle se base sur de la morphophonologie.
Des outils pour transcrire
Si vous avez besoin de transcrire du coréen, sachez qu’il existe des outils qui permettent de romaniser le hangeul :
Il y a le Korean Romanization Converter proposé par l’université nationale de Busan ainsi qu’un outil en français proposé par le site Coréen Actuel.
Le mot de la fin
J’espère que cet article aura pu vous aider à mieux comprendre pourquoi vous pouvez rencontrer certains mots coréens écrits de plusieurs façons dans notre alphabet et que vous aurez pu contextualiser un peu plus tout cela. J’espère également que mes explications ne sont pas trop obscures. N’hésitez pas à me laisser un commentaire si vous avez besoin de plus de précisions.
Sources : Korea.net | Journal of East Asian Libraries | United Nations Group of Experts on Geographical Names | Cairn | Geonames | Livre d’apprentissage du coréen Cours de coréen Niveau débutant