En pleine épidémie de sars-cov-2, la Corée du Sud fait face à un nouveau scandale sexuel. Liée au chat Nth Room de la messagerie Telegram, devenu lieu de consommation de contenus pédopornographiques, l’affaire impliquerait près de 260 000 personnes.
Les lignes qui vont suivre ont un caractère choquant et peuvent atteindre votre sensibilité.
Le réseau criminel Nth Room
L’affaire Nth Room (N번방 사건) éclate après plusieurs mois de recherches policières pour démanteler le réseau cybercriminel. Tout a commencé en février 2019 lorsque la police coréenne a appris l’existence de chat Telegram où du contenu sexuel illégal était partagé. Des photos et vidéos d’exploitation sexuelle de femmes et mineures étaient présentées aux personnes qui rejoignaient les salons de discussion en échange d’un abonnement payé en cryptomonnaie.
Appâtant des personnes – que la police s’efforce aujourd’hui d’identifier – sur des plateformes telles que Ilbe Best ou Dcinside, les cybercriminels leur ont donné accès à huit « chambres » gradées en fonction de l’outrance de leurs contenus pornographiques.
Ces différents salons ne semblent pas avoir été gérés par une seule et même personne bien que la figure de Cho Joo Bin (조주빈) ait pu être identifiée récemment. Le créateur des premières chambres se faisait appeler « Dieu Dieu » et la personne responsable du téléchargement des liens, « gardien ».
Un autre compte a commencé à opérer en juillet 2019, celui de Cho Joo Bin, avec l’ouverture du « chambre du docteur ». Ce sont le nombre de victimes, la violence des actes et le ciblage de celles-ci qui différencient cette chambre des autres.
Dans la « chambre du docteur », les contenus sadiques étaient teasés via les autres salons de conversation de Telegram et rendus accessibles uniquement en cryptomonnaie via des abonnements. Le premier niveau de chatroom coûtait 200 000 wons (soit 150 euros environ) et l’accès à l’intégralité des contenus remontait à 1,5 million de wons (soit 1 100 euros environ). Entre 60 000 et 100 000 abonnements payants ont été crédités.
Les modes opératoires
Plusieurs modes opératoires pour atteindre leurs victimes ont été révélés par la police. Le premier consistait à contacter des femmes sur Twitter en leur faisant croire que des photos privées d’elles avaient pu être exposées sur Internet. En cliquant sur le lien transmis, les futures victimes arrivaient sur un faux site Twitter où elles entraient par inadvertance leurs informations personnelles. Les cybercriminels récupéraient alors leurs informations confidentielles telles que leurs adresses, noms et familles. Menaçant les victimes au travers de ces informations confidentielles, les criminels les forçaient à devenir leurs esclaves sexuelles. Dès lors munis de réels contenus illicites, ils pouvaient continuer de les faire chanter.
La proposition d’emploi à mi-temps fut un des autres modes opératoires utilisés. Les futures victimes postulaient pour un emploi bien rémunéré mais pour lequel elle devaient se faire parrainer. Les parrains n’acceptaient que si elles fournissaient des photos à caractère sexuel. Le chantage commençait dès l’obtention de ces contenus. La dernière technique employée fut d’usurper l’identité de policiers pour faire croire aux victimes qu’elles pouvaient encourir des poursuites pour production de contenus illicites. Là encore, les criminels et les victimes se retrouvaient dans un chantage cyclique. Ce sont près de 70 femmes dont 16 mineures qui ont été victimes de ce cyberharcèlement et de ces exploitations sexuelles.
L’indignation du public
Les chambres de la Nth Room ont été révélées à plusieurs reprises en 2019. Un premier lanceur d’alerte avait contacté le 112 mais son signalement n’avait pas donné suite à une enquête. En janvier 2019, le journal Seoulshinmun Daily, ayant infiltré le réseau, révèle que la messagerie Telegram est utilisée à des fins de cyberharcèlement et pédopornographie. Puis le journal Sisa publie à son tour un article en avril 2019. Le 12 août, l’Electronic Times fait mention de la Nth Room, lançant la première vague d’indignation en Corée du Sud.
En septembre 2019, les premières chambres sont fermées révélant que les criminels commencent à prendre conscience du danger qui les guette. Le premier cybercriminel est arrêté le même mois. Surnommé le « gardien », M. Jeon était un employé de 38 ans qui avait déjà reçu une condamnation pour distribution de pornographie. Accusé tout d’abord pour exploitation d’un site Internet contenant des enregistrements illégaux, l’homme est désormais poursuivi pour sa potentielle connexion avec la Nth Room.
L’enquête se poursuit jusqu’en mars 2020 où elle éclate au grand jour avec la révélation d’un des principaux suspects, M. Cho dont l’identité sera révélée le 23 mars puis officiellement le 24 mars par l’Agence de police métropolitaine de Séoul. Âgé de 25 ans, l’homme n’était pas connu des forces de police.
126 personnes liées à la Nth Room sont en cours de comparution. 19 d’entre elles, dont Cho, ont été officiellement placées en détention. Parmi elles, M. Shin, l’opérateur précédent de la Nth Room, qui l’avait héritée de « Dieu Dieu », était un homme d’une trentaine d’années. Lui aussi était connu des instances judiciaires pour une précédente condamnation avec sursis pour avoir violé la loi sur la protection des enfants et des jeunes contre les infractions sexuelles. Un lycéen d’Incheon semble aussi avoir dirigé un des chat Telegram en distribuant notamment de la pornographie enfantine tout en proposant des liens d’achat de drogues.
En Corée du Sud, plus de 2,3 millions de personnes ont signé une pétition réclamant des sanctions plus lourdes et une enquête plus large sur les réseaux pornographiques numériques. Un autre pétition rassemblant 1,6 millions de signataires demande l’entière publication de l’identité et des informations personnelles des 30 000 comptes ayant participé à la Nth Room.
De réelles conséquences sociales
Alors que la Corée du Sud est en passe de légitimer l’utilisation des cryptomonnaies, l’affaire bouscule l’agenda législatif. Le 25 mars, les opérateurs coréens de monnaie virtuelle ont accepté de coopérer avec les autorités dans le cadre de cette affaire. L’utilisation des technologies à des fins criminelles est un réel problème que souligne la cheffe du Centre Coréen de Réponse au CyberHarcelement (KCSVRC), Seo Seung Hee. Pour elle, « la culture du viol » est un véritable problème de société en Corée où la pression sur la réputation des victimes favorise le chantage.
Le président Moon Jae In a, quant à lui, qualifié l’affaire de « cruelle » et a demandé aux autorités de mener une enquête approfondie tout en promettant d’apporter l’aide nécessaire aux victimes. Malgré des siècles de ségrégation des genres favorisées par la culture neo-confucianiste, la démocratie sud-coréenne se révèle d’une incroyable efficacité dans le traitement de ce genre d’affaires scandaleuses et sordides et l’opinion publique coréenne, assoiffée de justice et d’indignation, ne semble pas prête d’ignorer les injustices qui peuvent s’insinuer dans leur société.
Sources : Yonhap | The Guardian | The Diplomat | Korea Joogangdaily
Article rédigé par Casado Hélène.