Il y a d’abord eu le temps des films de propagande où les Nord-Coréens étaient diabolisés par le cinéma du Sud, puis les rapports se sont détendus et des films comme As One ont évoqué une possible réunification de la péninsule coréenne sur fond de sport. Par la suite, il y a eu la nomination au poste de président de Moon Jae In dont l’une des promesses de campagne était la reprise du dialogue entre la Corée du Sud et la Corée du Nord, suivie de près par les Jeux olympiques de Pyeongchang où les deux pays ont fusionné leurs forces au sein d’une seule et même équipe. Depuis, tous les feux sont verts, le dialogue se poursuit et les déclarations des différents camps permettent même de rêver à une péninsule coréenne unie.
Et le cinéma dans tout ça ? Art dans lequel les Sud-coréens excellent et média privilégié pour diffuser des idées, le cinéma sud-coréen a toujours su s’adapter rapidement à l’actualité. Il était donc naturel que plusieurs films sortent, centrés sur les relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Intéressons-nous de plus près à deux films qui en font leur thème principal : JSA (Joint Security Area) de Park Chan Wook, sorti dans les salles coréennes il y a bientôt 20 ans et, remis au goût du jour, il est sorti dans les salles françaises le 27 juin 2018 ; Steel Rain de Yang Woo Seok, disponible sur Netflix et sorti sur les écrans coréens le 14 décembre 2017.
JSA (Joint Security Area)
La guerre qui a divisé la péninsule coréenne entre le 25 juin 1950 et le 27 juillet 1953 a engendré une vague de communication de propagande dont le cinéma a bien évidemment été un acteur important. Les régimes dictatoriaux en Corée du Sud (1948-1988) ont imposé la réalisation de films anticommunistes, où les Nord-Coréens ont été diabolisés, présentés comme les ennemis communistes et réduits à des rôles de dangereux criminels (d’après les manuels scolaires en circulation jusqu’au début des années 1990). Cette diabolisation s’est poursuivie de nombreuses années après la fin de la guerre puis elle s’est petit à petit essoufflée, perdant de sa véhémence jusqu’aux années 90 où les réalisateurs commencent à ré-humaniser les Nords-Coréens (South Korean Partisans (1990) de Chon JiHyung). Puis, inspiré par ce mouvement, en 2000, Park Chan Wook met un coup de pied dans la fourmilière avec son film JSA qui met en scène une amitié entre des soldats sud-coréens et nord-coréens.
L’intrigue de JSA tourne autour d’un incident crucial : une fusillade au poste de frontière nord-coréen où deux soldats sont morts, un autre blessé et qui implique un soldat sud-coréen. C’est donc un conflit diplomatique qui pourrait causer une crise très grave car les deux camps s’accusent et se menacent. Une enquêtrice est envoyée sur les lieux afin de faire la lumière sur cette affaire et tenter de rétablir la vérité des faits et pas celle que les chefs politiques dictent. Le climat de tension est très palpable lorsque Sophie Jean, l’enquêtrice suisse jouée par Lee Young Ae, rencontre les hauts gradés responsables de la zone frontalière (qui n’est rien de moins que l’une des zones les plus militarisées au monde). Ils essaient clairement d’influer sa décision avec des sous-entendus, des remarques acerbes voire même des accusations très claires sur le pays voisin. Ces échanges, bien que rares, permettent au spectateur d’avoir une idée de la tension et de l’animosité qui dominent les échanges entre les deux pays. Cependant, Park Chan Wook ne s’attarde pas sur l’aspect politique du film et opte pour un autre angle : le côté humain.
Car sous la couverture d’un film de guerre se cache une histoire d’amitié, d’humanité, de tension et de remords. La majeure partie du récit se déroule en flash-back afin de revenir sur les raisons de l’incident central du film. Petit à petit, le spectateur découvre les relations qui reliaient ses hommes, les morts comme les survivants, la beauté de leur amitié au-delà de leur appartenance à deux pays en guerre, et surtout, le contexte sous-jacent qui reste présent, latent jusqu’à ce qu’une petite remarque ou action fasse tout exploser.
Steel Rain
L’approche de Yang Woo Seok dans Steel Rain n’est pas si éloignée de celle de Park Chan Wook mais elle est différente.
L’histoire suit Eom Chul Woo (Jung Woo Sung), un ancien agent supérieur de la Corée du Nord, chargé par l’officier militaire de haut rang Ree Tae Han (Kim Kap Soo) de tuer deux hommes qui, selon les informations fournies, préparent un coup d’État. Très patriote, il accepte la mission, mais, lors d’une manifestation publique, l’agent risque sa vie pour recueillir le chef nord-coréen blessé et le conduire en sécurité, quitte à passer la frontière avec la Corée du Sud. Pendant ce temps, Kwak Chul Woo (Kwak Do Won) est le chef des affaires étrangères en Corée du Sud et il entend parler du coup d’État en Corée du Nord, apprenant par la même occasion que le dirigeant nord-coréen est dans son pays. Les deux hommes vont se rencontrer et lier une relation amicale bien moins profonde que celle des soldats de JSA, notamment parce qu’elle est beaucoup plus courte, mais aussi parce qu’ils ne font pas abstraction de la situation politique.
En effet, là où Park Chan Wook mettait en avant l’amitié qui lie les hommes et laissait la politique en arrière-plan, ce n’est pas le cas de Yang Woo Seok qui aurait même tendance à faire l’inverse. Les deux personnages principaux, tout comme le spectateur, sont sans arrêt conscients de cette tension qui règne et du fait que le moindre faux pas pourrait déclencher une guerre. Il n’empêche que plusieurs jeux de regards, petites phrases ou gestes d’apparence anodine permettent de suivre l’évolution de la relation entre les deux hommes et que certains moments sont très touchants.
Cependant, les enjeux politiques sont toujours présents, de façon plus ou moins explicite, et, chose qui est peu développée dans JSA, les États-Unis sont intégrés. Ils sont cités plusieurs fois dans les discussions d’hommes de pouvoir et ils apparaissent même comme puissance à consulter avant de prendre une décision. Cependant, c’est bien sur les politiques coréennes (du Nord comme du Sud) que le film se concentre, mettant même en avant les divergences d’opinions sur l’attitude à avoir envers le pays voisin au sein du même « camp » politique. Pour la Corée du Sud, ces différences d’opinions sont mises en scène grâce à la période de transition entre deux présidents : l’un deux, le sortant, souhaite aller au conflit avec la Corée du Nord tandis que celui qui arrive est pour le dialogue et la compréhension mutuelle. Chez les dirigeants de la Corée du Nord, c’est la même chose : l’instigateur du coup d’État est dépeint comme un homme assoiffé de pouvoir qui ne souhaite que la guerre alors que Eom Chul Woo et le chef d’État blessé sont pour des relations pacifiques.
Ainsi, Steel Rain est un film tout en nuance qui n’encense pas la Corée du Sud et n’accable pas non plus le Nord de tous les défauts. Évidemment, les scénaristes du film dénoncent la situation stagnante entre les deux Corées, mais il y a aussi beaucoup d’espoir dans ce film, espoir grandement incarné par la relation des personnages principaux.
Conclusion
Il est bien loin le temps des films de propagande. À travers l’exemple de ces deux films, c’est un mouvement très unificateur et pacifiste qui prend corps depuis plusieurs années au sein des réalisateurs sud-coréens : les Nords-Coréens ne sont plus simplement les ennemis à abattre, ils deviennent plus complexes, leur image est plus positive et surtout plus humaine. En effet, les deux films pris en exemple se démarquent par le fait que les réalisateurs ont décidé d’axer leur intrigue davantage sur les rapports humains et moins sur les enjeux politiques ou les relations diplomatiques. Bien sûr, tous les films centrés sur ce thème n’optent pas pour cet angle de vue, mais ils sont de plus en plus nombreux et rencontrent un succès croissant.
Park Chan Wook avait ouvert la voie à ce changement de l’image des nord-coréens dans le cinéma avec JSA et Steel Rain, avec ces millions d’entrées, est la confirmation que le peuple sud-coréen est prêt à accepter cette image et sans doute, ses voisins.
Sources : Asialyst | AsianWiki | Netflix
Article rédigé par Laulilau.