L’année 2019 est forte en tension entre la Corée et le Japon. Parmi les sources de ces querelles, l’emblématique île de Dokdo | Takeshima qui cristallise à elle-seule des siècles d’enjeux diplomatiques entre les deux pays.
Étude scientifique et diplomatie
Mars 2019, la Corée du Sud a annoncé le lancement de recherches géologiques aux abords de l’île Dokdo (독도) ou Takeshima (竹島) en japonais. Si l’étude porte officiellement sur le prélèvement d’échantillons terrestres de l’île voisine d’Ulleung-do (울릉도), le Japon considère qu’il s’agit en réalité d’une posture sud-coréenne pour étudier les sols de l’île Dokdo.

En 2017, le gouvernement japonais avait déjà protesté auprès du ministère des Affaires étrangères de Corée du Sud concernant les recherches effectuées dans la zone. En effet, depuis 2006, l’Institut Coréen des Sciences et Technologies de la Mer (KIOST) collecte et analyse les échantillons des fonds océaniques sur les îlots d’Ulleung-do et Dokdo. La finalité est de prouver, scientifiquement, la paternité de l’île avec la péninsule. Pour s’assurer du déroulé paisible des recherches, des policiers coréens sont envoyés sur le complexe rocheux afin d’assurer la sécurité de l’île. En effet, les manifestations japonaises affrètent parfois des citoyens pour occuper l’île. Cette pratique survient aussi sur l’archipel formé par les îles Diaoyutai/Senkaku revendiqué de part et d’autre, par le Japon et la Chine.
Sujet épineux, la souveraineté sur l’île de Dodko/Takeshima anime les tensions nippo-coréennes depuis des décennies. Alors que les partenaires économiques doivent concilier la douloureuse histoire et les stratégies futures dans une aire géopolitique historiquement gouvernée par la Chine, la Russie et plus récemment les USA, le sujet Dokdo pourrait bien être l’un des nombreux explosifs à même d’enflammer l’Asie de l’Est.
Histoire et déboire
Si les baleiniers français nomment les îlots « Rochers Liancourt » en 1849, l’histoire de l’île est plus ancienne. Toute la difficulté est que la découverte de son ancienneté assurerait la primauté, qui du Japon ou de la Corée. Or la bataille historiographique qui se joue ici, servant les raisons politiques présentes, tend à obscurcir l’origine réelle de l’île. D’où l’approche géologique qui, par comparaison des sols, prouverait l’appartenance ou non de l’île à un pays ou à l’autre.
L’histoire du Royaume D’Usan
Mais de quand date la quête d’appartenance de ces îlots hostiles où il est difficile d’habiter ?
D’après les sources coréennes, les premières traces de l’île dans les registres d’État remontent aux premières décennies du royaume de Shilla. Le roi Jijeung (지증왕|智證王) qui règne de l’an 500 à l’an 514, reçoit le rapport de son gouverneur Isabu qui vient de conquérir le royaume d’Usan. Ce petit royaume maritime s’étend sur plusieurs îles, dont Ulleung-do et potentiellement Dokdo, car les registres font mentions de deux îles visibles l’une à l’autre seulement un jour par an. Ces indications correspondraient aux distances des actuelles îles de Ulleung-do et Dokdo. Mais le risque d’interprétation biaisée illégitime souvent ce seul argument pour reconnaître l’île. Le Samguksagi (삼국사기 | 三國史記), ou Histoires des Trois Royaumes, compilé en 1145, fait aussi mention de l’île précisant son autonomie paisible et sa finale intégration au royaume de Goryeo en 930.

(1957, 1963, 2000) source : Dokdo Takeshima
Les traces archéologiques de la présence coréenne durant la période de Shilla unifiée ont aussi été révélées par plusieurs tombes et objets du quotidien (jarre, bijoux etc.). De nombreuses études archéologiques ont été menées entre 1957 et 2000 pour comparer les maigres traces de présences humaines. Des tombes et du mobiliers similaires à ceux trouver sur les îles de Ulleug-do ont ainsi été observés.
L’île Matsushima
Du point de vue japonais, les sources sont plus récentes. Le Kaisei Nippon Yochi Rotei Zenzu est souvent utilisé comme une preuve de l’ascendance du Japon sur les îles de Matsushima (Dokdo) et Isotakeshima (Ulleung-do). La carte très précise dessinée par Nagakubo Sekisui en 1779 représente clairement les îles.
L’expansion japonaise de l’ère Edo, survenue après plusieurs siècles de guerres civiles, n’exclut pas l’intégration des îles dans le Shoguna d’alors. On retrouve ainsi de nombreuses cartes intégrant les îles de Matsushima (Takeshima) dans les documents historiques.

indiquant l’emplacement de l’île Matsushima
Limites de l’approche historique
Les limites historiographiques pour identifier l’appartenance de Dokdo à l’un ou l’autre des États reposent sur plusieurs points : la destruction, au cours de l’histoire, d’une partie des registres royaux coréens et japonais, et la réalité archéologique de l’île les derniers millénaires.
En effet, la culture du royaume d’Usan peut avoir des proximités culturelles avec les tribus de Wa (Japon), les royaumes coréens de Shilla, de Baekje, de Gogureyo ou des royaumes chinois de Wei, Wu, Shu puis la dynastie Sui ou au contraire être totalement indépendante des pays limitrophes. Sans réelle compréhension archéologique des habitants des îles, il sera difficile pour l’un ou l’autre des États de faire valoir leur paternité.
Par ailleurs, les enjeux politiques peuvent soulever la question des biais portés par les études. Sur le plan historique, il est plus que plausible que les îles aient appartenu aux deux états durant leur histoire. Tout d’abord royaume indépendant, dont les traces archéologiques peuvent se retrouver aussi bien en Corée qu’au Japon contemporains, les îles de Dokdo / Takeshima ont pu être rattachées à un royaume ou un autre pendant les 2 000 ans de présence humaine qui semble être attestée. L’influence tantôt shillienne, tantôt edoienne, est visible. Et si les preuves historiques semblent plus en faveur de la filiation coréenne, elles ne sont pas assez reconnues pour être acceptées qui par le Japon, qui par les Institutions Internationales.
Dokdo : analyse des sols
Que raconte la géologie de la mer de l’Est ?
Si l’argument par des traces archéologiques et des influences culturelles peut facilement être détourné, la voie géologique pourrait permettre d’identifier très concrètement la parenté de l’île Dokdo vis-à-vis du Japon ou de la Corée. Cette approche scientifique est ainsi une nouvelle tentative du Pays du Matin Frais de légitimer ses revendications concernant l’île et les étendues maritimes alentours. Le Japon perçoit ces recherches comme un réel danger stratégique qu’il n’est pas question d’ignorer.

vis-à-vis des terres coréennes et japonaises
Remuer le sol et les rancoeurs

Formée il y a environ 2,5 ou 2,6 millions d’années, depuis un volcan marin situé à 2 000 mètre de profondeur, l’île de Dokdo / Takeshima est essentiellement composée de roches volcaniques dont le magma basaltique est trachyte et alcalin.
Les parties de l’île situées au-dessus du niveau de la mer (respectivement Dongdo & Seodo en Corée et Onna-jima & Otoko Jima au Japon) ne sont que les pics d’une plus grande île sous-marine. L’île entière est un énorme volcan d’un diamètre supérieur à 10 km.
Topographie de l’île
Le sommet de Dongdo culmine à 98,6 mètres d’altitude et sa surface est relativement plate. Le sol recouvre l’île sur 20 à 30 centimètre ce qui favorise la croissance de plantes herbacées. Si l’intérieur de l’île se compose d’une pente plutôt douce, l’accès à la mer est principalement constitué de falaises de 30 mètres de hauteur. Le sommet de Seodo atteint, lui, une altitude de 168,5 mètres et est composé de crêtes étroites et pointues. Des zones relativement plates favorisent les dépôts de sol plus épais et la croissance de plantes herbacées.
Entre Seodo et Dongdo, il y a un détroit d’environ 110 à 160 mètres de large, environ 330 mètres de long et 5 à 10 mètres de profondeur. Les eaux proches de Seodo sont moins profondes que celles de Dongdo, où elles plongent à des centaines de mètres de profondeur.

Des ressources stratégiques
Les fonds marins de l’île sont riches en matières premières, notamment en hydrate de gaz, une ressources qui émet moins de dioxyde de carbone lors de sa combustion et la place dans les énergies dite propres. Les réserves d’hydrate de gaz entre l’île d’Ulleung-do et Dokdo seraient situées à 1 500 mètres de profondeur et représenteraient environ 600 millions à 2 milliards de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL). Des estimations supposent que cette quantité pourrait approvisionner la Corée pendant 30 à 100 ans et créer un effet de substitution des importations atteignant 252 000 milliards de wons.
Les fonds marins sont aussi une ressource importante pour l’industrie sud-coréenne qui les utilise pour la production d’aliments santé, de suppléments et pour la culture de produits marins. L’eau, riche en minéraux et en nutriments, ne contient pas de bactéries. Elle est donc particulièrement appréciée en tant que ressource marine à haute valeur ajoutée pouvant être utilisée dans divers domaines telle que l’alimentation, la santé, la beauté, l’agriculture, la pêche, le tourisme et l’énergie. Les marques Shimhaewon et Cheongara commercialisent, par exemple, de l’eau potable issue des fonds marins.

D’épaisses couches de phosphore (estimées à 20 mètres d’épaisseur) représentent une autre ressource non négligeable pour les deux pays. Le phosphore pourrait être exploité comme matière première ou comme base pour des engrais naturels sans produits chimiques. Aujourd’hui, les besoins sud-coréens pour cette matière s’élèvent à environ 1,52 million de tonnes importée par an.
Conclusion
L’île de Dokdo/Takeshima est un territoire stratégique en Asie de l’Est, à l’instar de l’île Senkaku/Diaoyutai. Les ressources naturelles qu’elle renferme sont un sujet de vives querelles auxquelles s’ajoute la douloureuse histoire qui lie les deux pays. Ressource vitale tant pour le Japon que pour la Corée du Sud qui sont limités en terme d’espace et de matières premières, l’île de Dokdo/Takeshima continuera d’être un objet de convoitise essentiel à l’économie en Mer de l’Est.
Devenant prétexte à l’affermissement patriotique des deux états et à leurs positionnements géopolitiques, l’île est aussi un parc géologique naturel important. Si l’exploitation des sols et des fonds marins prospère dans la culture productiviste que favorisent les deux États, il est possible d’imaginer que les grands perdants de l’affaire soient les écosystèmes marins et les descendants de la région eux-même.
Aujourd’hui, d’autres acteurs géopolitiques pourraient être amenés à demander leur part du gâteau. Les tensions en Asie de l’Est concernant les territoires marins ne font que croître depuis plusieurs décennies. L’année 2019 est un point culminant des tensions nippo-coréennes et j’espère que la flamme patriotique des deux États ne réveillera le volcan de la guerre en enflammant les hydrocarbures marins.
sources : Dokdo History | Ministère des affaires étrangères japonais | Dodko-Takeshima.com (1),(2) | Geology of Dokdo | Geology of korea | Japan Geology | Ulleung-do Geology | Marine Geology of Korean Seas | Koreabizwire (2019) | Koreatimes (2019)| Yonhap (2019)| KoreaNews (2012) | Euronews (2015) |en plus : NATURE : Iwo-jima Geology
Note de Minido : Bonjour et merci d’avoir lu jusqu’ici. Cet article a été particulièrement long a écrire (six mois) en raison de la difficulté à trouver des sources fiables. C’est pourquoi j’insiste pour rappeler que tout ce qui est écrit ici est à contextualiser dans les données accessibles entre janvier 2019 et septembre 2019. Le but n’est pas de prendre partie pour l’un ou l’autre des États mais de vous donner accès aux informations que j’ai pu trouver. Pour autant, la vigilance demeure concernant certaines sources.
Article rédigé par Casado Hélène.