On le sait tous, l’histoire coréano-japonaise est profondément douloureuse. Piraterie, guerre d’Imjin, invasions puis colonisations sont des blessures à vif qui peinent toujours à cicatriser entre les deux pays. On sait moins le détail des atrocités perpétuées au cours des siècles, et notamment celles commises pendant la guerre d’Imjin. Le sanctuaire Mimizuka est un témoin muet de ce qu’il se passa.
Contexte de la guerre
La guerre d’Imjin survient en 1592. Le Japon sort d’un siècle de guerre civile qui profita au développement de la piraterie. Les mercenaires japonais livrent alors leurs services partout en Asie orientale. Toyotomi Hideyoshi, vainqueur de la dernière guerre interne, considère l’exportation de la guerre (dans d’autres pays) comme un moyen de réunification et de pacification du Japon. Il souhaite affermir son autorité royale en bravant la Chine et en s’attaquant à l’un de ses alliés les plus importants : le royaume de Joseon. Celui-ci a connu un grand âge d’or sous le règne du roi Sejong. Les avancés techniques et les progrès qui se sont diffusés pendant un siècle allèchent les pays limitrophes. Mais les querelles internes et les nombreuses purges des lettrés ont, à plusieurs reprises, fragilisé le royaume.
Les macabres trophées de l’armée japonaise
En 1592, les soldats japonais envahissent le royaume de Joseon, en rien préparé. La violence de cette invasion est insoutenable. Les Japonais enchaînent massacres sur massacres, s’attaquent aux militaires comme aux civils et défigurent des milliers de personnes. En effet, la valeur d’un guerrier japonais se mesure au nombre de trophées qu’il remporte. Les têtes des soldats vaincus servent à l’origine de preuve. Mais dans cette guerre, elles sont trop encombrantes. Alors les soldats japonais optent pour n’emporter que les oreilles et les nez.
Par voix de conséquence, les guerriers, qui souhaitent toujours plus de gloire, se mettent à couper les nez et oreilles de civils qu’ils laissent en vie. Pendant des décennies, les Coréens défigurés vécurent comme la preuve vivante de ces terribles événements. Et les restes humains furent marinés, acheminés au Japon puis entreposés dans des sanctuaires.
« Décimez tout le monde sans discrimination entre jeunes et vieux, hommes et femmes, le clergé et les laïcs, les soldats de haut rang sur le champ de bataille, cela va sans dire, mais aussi les gens de la colline, jusqu’aux plus pauvres et plus humbles et envoyez les têtes au Japon*. »
*Samuel Hawley (2005), pp. 465-466. « Septième et dernier ordre de Hideyoshi à ses commandants archivés dans le Chosen ki (Archives coréennes) du samouraï Okochi Hidemoto .
Mimizuka, un monument qui renferme 38 000 nez et oreilles coupés
Le 28 septembre 1597, Toyotomi Hideyoshi ordonne la construction d’un monument à la gloire des hauts faits japonais. En plus des preuves tangibles de la valeur martiale de ses soldats et des lettres de félicitations qu’il leur envoya, Hideyoshi souhaite valoriser son expédition militaire. Il fait construire dans le temple Hokoji, près de Kyoto, un sanctuaire. Il y fait ensevelir les milliers de restes humains. Puis, il ordonne aux prêtres bouddhistes de prier pour le repos des victimes de la guerre. Le sanctuaire prend d’abord le nom de Hanazuka (鼻塚), « la butte aux nez » puis plus tard, par soucis d’adoucissement, Mimizuka (耳塚), « la butte aux oreilles ».
Mimizuka n’est pas la seule tombe de nez (鼻の墓) au Japon. À Okayama, l’une d’entre elles fut redécouverte en 1983. Les restes humains de 20 000 personnes y ont été retrouvés. Il furent rendus à la Corée en 1992. Les Coréens purent enfin procéder aux rites funéraires des aïeuls de la guerre d’Imjin.
Après la guerre, la douloureuse voie de la reconstruction
La guerre d’Imjin laissa la Corée enlisée pendant de nombreuses décennies et contribua efficacement à en faire un royaume ermite. Les campagnes étaient dévastées, les canaux d’irrigation détruits, de nombreuses villes et nombreux villages avaient été incendiés. La capacité de production baissa de 67,91%. Le Japon repartit avec des restes humains mais aussi avec des milliers d’esclaves, dont des artisans de hautes qualifications et les innovations techniques apparues lors de l’âge d’or coréen. Les troupes de l’empire Ming, vinrent en renfort mais elles pillèrent également le pays. Ayant subi de lourdes pertes, elles furent entretenues plusieurs années par les Coréens.
Aujourd’hui, le sujet des nez coupés est devenu un enjeu politique à l’instar des femmes de réconfort. Largement nourris pendant les années 1980, il servit aux gouvernements coréens à entretenir un nationalisme anti-japonais. Pour les zainichis, la diaspora coréenne du Japon, la reconnaissance des « nez coupés » est essentielle à la reconnaissance de leur communauté. De leur côté, les Japonais semblent méconnaître l’ampleur des atrocités commises par leurs pairs pendant la guerre d’Imjin. Hormis quelques historiographes qui contribuent à la reconnaissance des crimes de guerre, le Japon a une posture plus frileuse.
Sources : Atlasobscura |Conférence de James Lewis |MindanOsaka |Amitié France Corée
Article rédigé par Casado Hélène.