Pour ma première excursion dans la littérature traitant de la Corée du Nord, le sujet est à la fois pesant et très rare. Avec le Camp de l’Humiliation, on entrevoit la dure vie des prisonniers politiques, mais également les rouages du système nord-coréen pour garder l’emprise sur sa population.
Avant-propos
Dans le Camp de l’Humiliation, on suit Wonho, accompagné de sa mère et de sa femme Su Ryeon, emmené de force et sans explication dans un camp de prisonniers politiques, isolé de tout. Mais c’est aussi l’histoire du bowiwon (personne représentant l’autorité du régime) Chae Min Kyu qui connaissait Su Ryeon. L’intrigue autour de ces trois personnages décrit ce que vivent les personnes dans les camps nord-coréens.
Témoignage des douleurs subies, ce roman a été écrit par Kim Yu Kyeong, en se basant sur son expérience et celles de son entourage. Transfuge nord-coréenne, l’auteure utilise un pseudonyme pour éviter le pire à ses proches restés en Corée du Nord. Et en lisant ce livre, on comprend pourquoi.
Photo du camp de Yodok prise par la chaîne de télévision japonaise Fuji et diffusée en 2004
Mon avis sur le Camp de l’Humiliation
Ayant fait des études d’Histoire, je ne suis pas passée à côté des camps de concentration nazis. C’est pour cela que je me suis engagée dans cette lecture avec de la distance. Mais ce que subissent les personnages – et par extension de véritables personnes – est horrible. Il est difficile de rester impassible. La pression est telle que l’on imagine mal comment ils peuvent s’en sortir. Entre la faim, le travail forcé, le froid, le risque de maladie et d’infection des blessures… Sans compter les bowiwon qui s’assurent de garder les prisonniers dociles.
« Tous les jours, il y en a qui meurent gelés, recroquevillés dans la neige, succombant aux engelures ou pétrifiés par le froid. C’est leur faute s’ils ne s’adaptent pas et périssent ainsi. D’ailleurs, ils n’ont le droit de mourir qu’en travaillant, tel est leur destin. »
Page 56
L’isolement. Voici ce qui m’a le plus frappée dans le roman. Le camp est si isolé de tout que même les bowiwon rêvent de partir. L’organisation du camp coupe les relations entre les prisonniers. Les protagonistes tentent de lutter, mais les années et la dureté de leurs vies finissent par avoir raison de leur solidarité. C’est avec impuissance et amertume que j’ai suivi l’évolution des personnages, se renfermant sur eux et se concentrant sur leur colère et leur haine.
« La dure vie du camp efface peu à peu tout souvenir du monde extérieur et les pousse à s’adapter à cet univers inconnu. Les jours sont tellement fatigants qu’ils oublient que le temps continue de couler ; ils ont l’impression qu’il s’est immobilisé complètement à force de travailler d’arrache-pied, le soir succède au matin et les saisons changent sans qu’ils s’en rendent compte. Le temps dans le camp avale les individus et recrache un nouveau modèle de créatures à l’air stupide, dotées uniquement d’un instinct animal, mieux adaptées à cet environnement. À l’idée qu’il est peut-être condamné à vivre ainsi pour toujours, Wonho tremble d’effroi. »
Page 87
Le Camp de l’Humiliation dénonce aussi le régime nord-coréen : des raisons bancales pour enfermer les personnes, une doctrine dont l’exécution se base sur la terreur, etc. Le pire dans ce récit est l’adhésion totale des Nord-Coréens. Ce n’est qu’en apprenant la situation à l’extérieur du camp que Wonho commence à émettre des doutes, des années après son arrivée. À aucun moment, les personnages ne prennent conscience de l’injustice et la violation des Droits de l’Homme dont ils sont victimes ! Le régime totalitaire nord-coréen a établi tout un système pour maintenir un maximum son emprise.
« Plus Wonho écoute Kang, plus il se sent bouleversé, désorienté, au point que la tête lui tourne. L’idée que la société dans laquelle il vit puisse changer ne lui a jamais traversé l’esprit. Même après son arrivée dans le camp, il a continué de croire que le socialisme était un système meilleur que les autres et qu’il n’était qu’un rouage défectueux écarté de la machine. Il enviait infiniment ses camarades de fac qui avaient sûrement déjà beaucoup progressé dans la hiérarchie, mais il n’éprouvait aucune rancune envers le régime. Même les camps, il les estimaient nécessaires pour le maintien de la dictature prolétarienne, il avait seulement eu la malchance d’atterrir dans l’un d’eux. Et dire que cette société qu’il croyait parfaite se trouve en plein chaos ! »
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Enfin, j’ai apprécié la dernière partie du roman. Après des années de souffrances, les personnages ont pu fuir la Corée du Nord. Ce qui est très rare dans les faits, comme l’indique cet article. L’expérience des camps de prisonniers est traumatisante et Kim Yu Kyeong parle, je pense, avec justesse de la vie d’après des réfugiés nord-coréens.
Où trouver le Camp de l’Humiliation ?
Kim Yu Kyeong, Le Camp de l’Humiliation, Éditions Picquier, 2019, ISBN : 978-2-8097-1391-6
Source photo : Yonhap