Considéré comme un classique de la littérature coréenne, Notre héros défiguré est un recueil de trois nouvelles écrites par l’auteur Yi Mun Yol. Les textes portent une réflexion philosophique, parfois spirituelle, autour de la situation de ses personnages : un collégien qui déménage en province, un maître en calligraphie et une personne fuyant son passé à travers les montagnes.
Informations sur Notre héros défiguré
Ce recueil comporte trois récits. Le premier raconte la difficile adaptation d’Han Pyongt’ae dans sa nouvelle classe gouvernée par le chef de classe. Dans le deuxième, le maître de la calligraphie Kojuk fait le point sur sa vie au moment où celle-ci s’achève. Minido en a fait une précédente critique dans cet article. Enfin, le troisième est un voyage hivernal où le personnage principal cherche à atteindre un but particulier.
Né en 1948, Yi Mun Yol commence à publier ses textes à trente ans et fait maintenant partie des écrivains les plus connus en Corée du Sud. Le recueil est un beau condensé de l’essence de ses récits : des textes ayant pour thématique les injustices sociales et sa propre expérience mise en scène pour exploiter l’évolution de sa vision sur le monde.
Petite note : j’ai gardé la romanisation des noms coréens présente dans le livre pour cette critique.
Mon avis sur le recueil
Notre héros défiguré
S’il sait bien qu’en déménageant, il doit s’adapter à une nouvelle vie, Han Pyongt’ae va rapidement comprendre qu’il va devoir subir sans broncher, ou bien devoir s’accrocher face aux humiliations qu’engendre sa résistance. En effet, cette histoire, c’est le combat solitaire d’Han Pyongt’ae face à un individu, mais aussi une classe, un professeur… C’est un combat contre les personnes qui se servent des hiérarchies pour avoir du pouvoir sur les autres. Cette classe, on peut facilement la comparer à l’échelle de la société coréenne, ce que l’auteur n’hésite pas à faire au cours du récit.
« Loin d’en tirer une leçon me permettant de faire bonne figure dans ce combat, je me retrouvais plus indécis encore devant l’injustice dont la réalité allait rendre mon combat inéluctable. »
Page 22
Je trouve Yi Mun Yol très juste dans ses propos. Que ce soit face à Om Soktae, le chef de classe aux allures de doux dictateur, ses camarades ou son entourage, Han Pyongt’ae tente de se battre, d’établir des stratégies qui vont toujours se heurter à l’inaction des autres. Car le fond du problème est ici : l’ensemble des personnes présentes dans le récit laisse faire. Finalement, c’est un changement de professeur qui va commencer à égratigner l’ascendant qu’a Om Soktae sur ses camarades. Quoique, la violence aura son rôle à jouer afin de réveiller les consciences… en partie.
« Ce qui vous appartenait de plein droit vous a été arraché, et vous n’étiez même pas vraiment en colère. Vous vous êtes inclinés devant une force injuste et vous n’en avez même pas honte… »
Page 84
Dans Notre héros défiguré, l’analyse d’Han Pyongt’ae sur sa situation, ses émotions et ses erreurs m’a beaucoup fait apprécier ce personnage et donc le premier récit. Ce qui s’est passé dans cette classe l’a marqué en lui ouvrant sans cesse les yeux sur sa vie d’adulte et celles de ceux qu’il connaît. Sans être fataliste, Yi Mun Yol alerte sur les dérives de ces comportements si l’on reste sans rien faire.
L’oiseau aux ailes d’or
Dans ce second récit, Kojuk fait la rétrospective de sa vie. Grand maître dans l’art de la calligraphie, il retrace les événements qui l’ont amené jusqu’ici. Et cette auto-critique ne va pas être flatteuse. La plus grande relation que Kojuk a eue dans sa vie est celle avec son maître Sokton et l’on peut aisément la qualifier de « compliquée ». Kojuk cherche la satisfaction de son maître. Sans l’obtenir, il n’arrive pas à trouver de satisfaction dans son art. Leur relation oscille entre « haine » et admiration, non-dits et malentendus entre eux deux sans qu’il y ait un réel dialogue.
« Il a beaucoup trop de talent ! Il n’a pas appris à tracer ni les points ni les lignes et il sait déjà structurer les signes. Il n’a pas encore assimilé douze méthodes de calligraphie et il sait déjà maîtriser l’harmonie entre les caractères, respecter l’équilibre entre les traits et les espaces vides, et dominer le tracé. C’est un artisan-né de l’écriture, mais le talent l’empêche de s’engager dans sa voie, comme s’il en étouffait la source. »
Page 121
Ce que la vie de Kojuk fut, c’est tout simplement les habituelles questions sur l’art. Doit-il être engagé ? Est-ce que l’on doit lui trouver un sens ? Chercher à garantir une postérité ? Dans son parcours, on devine les problématiques entre l’art oriental et occidental, le rapport entre société ou individu face à l’art, etc. Lorsque l’on exerce une activité artistique, il peut être difficile d’échapper à ce questionnement et L’oiseau aux ailes d’or est un bon récit pour s’y confronter.
L’hiver, cette année-là
Dernier récit proposé dans ce recueil, L’hiver, cette année-là est différent des précédents. Ici, le personnage ne vous donnera que très peu de détails sur lui et son passé. L’on découvre même son nom par la rencontre fortuite avec une personne qu’il connaît. Ce que l’on peut voir apparaître à travers son récit est sa souffrance. Mais de quoi ? Là n’est finalement pas la bonne question à se poser.
« As-tu enfin découvert la cause de ce sentiment de vide et de désespoir qui t’avait fait perdre tout contrôle de toi-même ? Est-ce que tu as fait le moindre pas en direction de cette solution que tu voulais si désespérément trouver ? N’avais-tu pas par hasard trouvé une excuse à ton indécision par quelque acte d’auto-persécution ? N’es-tu pas tout simplement en train de fuir ou de chercher un sursis ? »
Pages 195-196
Je pense que pour comprendre les enjeux qui se cachent derrière le filigrane du texte, il faut avoir été dans le même ressenti que le personnage. C’est sans doute la raison du peu d’informations à son sujet : pour que l’on puisse s’identifier. Le but initial pendant ce voyage à travers les montagnes en hiver est assez évident (surtout en ayant lu la quatrième de couverture). Cependant, est-ce réellement ce que veut le personnage ? C’est ainsi que Yi Mun Yol pose une ébauche sur la notion d’existence et les valeurs auxquelles la rattacher.
Conclusion
Cela faisait un moment que je ne m’étais pas passionnée pour un livre. La lecture fut agréable et m’a fait ressentir de nombreuses émotions. Je vous le recommande grandement. Néanmoins, mieux vaut avoir une base solide de la culture coréenne pour éviter d’être perdu sur certains termes et apprécier la profondeur du recueil, bien que la Lecture de Michel Polac en fin de livre puisse apporter un éclairage suffisant à sa compréhension.
Où trouver Notre héros défiguré ?
Yi Mun Yol, Notre héros défiguré, Trad. Ch’oe Yun et Patrick Maurus, Éditions Actes Sud, juillet 1993, ISBN : 978-2-7427-0038-7
Source photo : My Drama List