Ils semblent m’observer avec un sarcasme triomphant. À la fin de la procession se trouve le triste visage d’un fantôme enfin démasqué. Le misérable enquêteur n’est autre que moi-même.
Il surveille son père
À propos de l’auteure
Ch’oe Yun (최현), de son vrai nom Mu Ch’oe Yun (최현무|崔賢茂), est une écrivaine sud-coréenne au style politique et intimiste. Née à Séoul en 1953, elle étudie les langues et la littérature coréenne à l’université de Sogang. En 1983, elle finalise son doctorat en littérature française à l’université d’Aix-en-Provence. À l’âge de 35 ans, elle publie son premier roman Là-bas, sans bruit tombe un pétale.
En 1990, elle écrit la nouvelle Il surveille son père (아버지 감시) et reçoit un prix littéraire. La même année, Ch’oe Yun devient aussi directrice des études coréennes en France et directrice des études françaises à l’université de Sogang. S’ensuivent des années fastes entre traductions de romans coréens, écritures de ses propres récits et éducation à la littérature française. En 1992 puis en 1994, elle reçoit les prestigieux prix Dong-In et Daesan. Ainsi, Ch’oe Yun, plus qu’une auteure, est aussi un des ponts essentiels à la rencontre des littératures franco-coréennes.
Sur le plan stylistique, les romans de Ch’oe Yun reposent sur une narration intimiste. Le déroulé de l’histoire suit souvent le parcours décousu d’une voix intérieure qui tente de comprendre des événements survenus. La rencontre de cette réflexion bavarde avec des événements réels fait des récits de Ch’oe Yun des œuvres éminemment politiques. Les personnages cherchent sous la plume de l’auteur à trouver un sens à leur existence même si celle-ci ne doit suivre ni norme ni ordre.
Résumé
Après une vie entière à espérer le retour de son père qu’il n’a pas connu, le fils d’un transfuge nord-coréen renoue contact avec celui que sa mère et ses frères attendaient ardemment. Mais comment peut-il faire face à cet homme passé au Nord, ayant abandonné sa famille pour en créer une nouvelle et, finalement, s’enfuir avec celle-ci en Chine ? Les sentiments d’abandon, de trahison et de révolte le traversent alors que le grand héros narré par sa famille devient l’incarnation réelle d’un vieillard.
Mon avis sur Il surveille son père
Écrit en 1990 alors que le bloc soviétique se désagrège et que les dictatures communistes volent en éclat, Il surveille son père raconte l’histoire d’un père nord-coréen qui rencontre son fils du Sud pour la première fois. Le récit intimiste évoque avec un regard acéré les souffrances humaines que le cours de l’histoire entraîne. La violence des sentiments du narrateur vis-à-vis du père tant attendu et enfin retrouvé raconte l’histoire malheureuse des familles séparées par la guerre. Les orphelins et descendants des transfuges ont grandi dans un environnement constant de suspicion que Ch’oe Yun représente magnifiquement. Sans détour, l’auteure explore les raisons et les sentiments qui poussent les idéalistes à tout abandonner. En ce sens son récit n’est pas sans rappeler le Vieux Jardins de Hwang Sok Yong.
L’auteure érudite n’y fait pas référence aveuglément et ne se contente pas de porter les accusations contre le père. Elle amène l’introspection de son personnage jusqu’à la critique de son propre pays dont l’environnement paranoïaque va jusqu’à entacher le lien filial. La colère sourde du narrateur dont le père réapparaît devient la rage d’une génération éduquée dans les valeurs patriotiques et familiales. Le transfuge devient le double traître coupable d’abandon familial et de renoncement à la patrie.
Un récit qui parle de séparation et de retrouvailles muselées
La gène qui s’établit entre les deux révèle le gouffre de plus en plus béant qui s’ouvre entre les deux cultures Nord et Sud et que les liens du sang ne semblent pas, à eux seuls, capables de consolider. Au-delà de l’histoire d’une famille déchirée, Ch’oe Yun raconte l’incapacité de la parole à s’exprimer. Si familière, la langue n’est pourtant pas la même. Si similaires, les peuples sont différenciés. L’auteure narre un récit où la réconciliation ne semble pouvoir se faire que dans le silence résigné.
Le narrateur cherche ainsi constamment à retrouver ce père perdu tout en souhaitant son prompt départ. Le froid glacé de l’hiver semble être le seul apte à rapprocher les deux hommes que la parole n’a su lier. Et le lien filial finit par transcender les sentiments personnels et le raisonnement social dans le geste d’un fils gardant son père du froid et l’accompagnant là où son pèlerinage idéologique le pousse.
Un récit biographique ?
L’histoire du narrateur n’est pas sans rappeler le parcours du célèbre écrivain Yi Mun Yol dont le père se fit transfuge pendant la guerre de Corée. Ch’oe Yun a d’ailleurs traduit en français l’une des nouvelles du célèbre auteur, L’oiseau aux ailes d’or, la même année que la publication d’Il surveille son père. On peut, dès lors, aisément imaginer que l’auteure a trouvé dans son pair un sujet de narration fécond. D’autant que l’histoire de Yi Mun Yol s’ancre aisément dans le style littéraire de Ch’oe Yun.
À mon sens, c’est pour toutes ces raisons que la nouvelle, que vous lirez en quelques heures, est une jolie perle littéraire. Vous aurez du plaisir à la lire, à ressentir les troubles intérieurs du narrateur et à entrer dans cette partie de l’histoire coréenne rarement explorée au travers de l’intimisme et de l’introspection.
Où le trouver ?
Il surveille son père de Ch’oe Yun, trad. Patrick MAURUS, Ed.Actes Sud Littérature, Lettres coréennes, nov 1993, ISBN 2742700927
Sources : Naver (biographie de Ch’oe Yun, dates clées) | For books’ sake
Article rédigé par Casado Hélène.