À l’instar de Guy Moquet, dont la courte existence émeut autant que son engagement impressionne, Yu Gwan Sun est l’une des figures révoltées de l’histoire moderne coréenne. Participante à la manifestation du 1er mars 1919 pour l’indépendance de la Corée, Yu Gwan Sun organise le soulèvement populaire de Byeongcheon avant d’être arrêtée, emprisonnée puis assassinée le 28 septembre 1920.
Biographie
Fille de Yu Jung Gwan et de Lee So Jae, Yu Gwan Sun (유관순 |柳寬順) naît le 16 décembre 1902 près de la ville de Cheonan. Seconde fille d’une fratrie de cinq enfants, elle est élevée dans une famille chrétienne aux fortes valeurs patriotiques et confucianistes. Son père est un activiste éclairé qui fonde un mouvement pour l’éducation nationale et l’école Hwangho (흥호|興湖). Neuf membres de sa famille sont d’ailleurs impliqués dans le mouvement pour l’indépendance de la Corée. Yu Gwan Sun grandit ainsi dans un terreau politique et religieux très vivace. En 1915, elle s’inscrit à l’école d’Ewha fondée par la missionnaire américaine Mary F. Scranton et rejoint les premières promotions féminines de l’école. Le programme éducatif stipule qu’en échange de son éducation, la jeune fille devra, une fois diplômée, devenir enseignante et participer à l’éducation des nouvelles générations.
Le soulèvement du 1er mars
L’empereur Gojong (광무제| 光武帝) meurt le 21 janvier 1919. Les différents mouvements indépendantistes s’organisent alors en Corée, en Chine et aussi au Japon pour organiser la libération de la nation. Les autorités japonaises forcent les organisations sociales dotées d’un pouvoir politique à dissoudre le mouvement. De nombreux chefs sont ainsi arrêtés et enfermés entre février et mars 1919. Pourtant, les organisations parviennent, sous l’égide d’étudiants, à organiser un rassemblement à Séoul deux jours avant les funérailles du défunt roi.
Le 1er mars 1919, Yu Gwan Sun et quatre étudiantes rejoignent la manifestation au parc Tapgol (탑골). Un groupe d’intellectuels et d’étudiants s’y sont rassemblés pour y lire la Déclaration pour l’Indépendance inspirée par le discours sur l’autodétermination des peuples du président américain Woodrow Wilson en janvier 1918. Alors que les principaux chefs indépendantistes ont déjà été arrêtés par les forces de police coloniale, le mouvement se répand grâce aux communautés populaires et religieuses chondoïstes (천도교), chrétiennes et bouddhistes qui ne sont alors pas forcées par le gouvernement japonais à présenter des autorisations. Le soulèvement rassemble plusieurs milliers de personnes. Le lendemain, les étudiants se rendent à l’école Ewha pour inciter Yu Gwan Sun et ses paires à continuer la marche vers l’indépendance. Le 5 mars, les lycéennes se rassemblent à la porte sud de Namdaemun où elles sont arrêtées par la police japonaise. Des missionnaires négocient leur libération mais l’école est fermée le 10 mars. Yu Gwan Sun décide alors de rejoindre sa région natale pour répandre le mouvement indépendantiste.
Le soulèvement du marché Aunae
La jeune femme se rend alors de village en village avec des copies de la Déclaration d’Indépendance. Les processions indépendantistes diffusent le Taegeuki (태극기) et Yu Gwan Sun clame de grands discours pour inciter les habitants à rejoindre le mouvement. Ils seront plus de 3 000 à la suivre. Le 1er avril 1919, alors que le soulèvement est rassemblé sur la place marchande de Aunae à Byeongcheon, les autorités japonaises répriment les manifestants. Les parents de Yu Gwan Sun meurent et la jeune fille est arrêtée et transférée à la prison de Seodaemun où elle retrouve un de ses frères qui mourra peu de temps après.
Emprisonnement
Condamnée à cinq années d’emprisonnement, Yu Gwan Sun refuse de collaborer en échange d’une peine plus légère et continue de soutenir le mouvement pour l’Indépendance. Elle est isolée puis torturée après l’organisation d’une révolte commémorative le 1er mars 1920. Elle meurt le 28 septembre 1920 à l’âge de 18 ans. Aujourd’hui, les récentes études estiment que plus de 2 millions de Coréens auraient participé à près de 1 542 marches indépendantistes dans tout le pays. 7000 moururent et 46 000 furent emprisonnés.
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Yu Gwan Sun de nos jours
Yu Gwan Sun est une icône du soulèvement du 1er mars. Largement investie par les communautés chrétiennes de Corée, sa jeunesse et sa combativité furent longtemps portées en étendard de la résistance à la colonisation japonaise. Associée en Occident à la figure de Jeanne d’Arc par les historiens anglophones, Yu Gwan Sun est pourtant une réelle incarnation de la combativité coréenne comme on la lit déjà dans le chant de la fidèle Chunyang. La loyauté et la droiture qu’elle sut adopter de son vivant comme la violence de son destin sont autant de raisons pour lesquelles sa mémoire est encore très vivace en Corée. Si bien qu’en 1962, elle fut décorée à titre posthume de l’Ordre du mérite pour la Fondation Nationale. Ses parents reçoivent aussi des reconnaissances posthumes et leur maison est rebâtie près d’un siècle plus tard dans le village qui l’a vu grandir. Les artistes contemporains investissent aussi l’icône comme cette oeuvre de Lee Bae ou Matthew Hancock. De nombreuses sculptures et musées honorent aussi sa mémoire et une tombe fut érigée pour elle lors de l’indépendance en 1948.
Aujourd’hui, les Coréens, en pleine transformation sociale du rapport au féminin et à leur histoire, développent une approche moins allégorique de son histoire et rendent hommage à l’ensemble des manifestantes et manifestants disparus ou emprisonnés pendant le mouvement d’indépendance. La vision plus humaine de la jeune fille apparaît notamment dans le film à sa mémoire : Protestation : l’histoire de Yu Gwan Sun sorti au cinéma le 27 février 2019.
Sources : The New York Times | Naver | Ecole Ewha | The Asia Pacific Journal | The History of Korea, 2nd Edition de Djun Kil Kim | Histoire par les femmes | New World Encyclopedia | History Naked |Dailynews | Cheonango.kr
Article rédigé par Casado Hélène.