Holà chers lecteurs ! Vous avez aimé l’article sur l’adoption en Corée ? Vous souhaitiez en savoir plus, connaître le parcours d’une personne l’ayant vécue ? J’ai lu dans vos pensées et c’est pour cela que je suis allée rencontrer Lena, qui a gentiment accepté de répondre à mes questions !
Peux-tu te présenter brièvement ? Ce que tu fais dans la vie, quand es-tu arrivée en France, à quel âge, de quelle ville tu viens…
Je m’appelle Lena, j’ai 36 ans et je suis née en Corée du Sud sous le nom de Shin Dong Yeon. Je suis arrivée en France en 1985, j’avais 4 ans et demi. Actuellement, j’exerce la fonction de codeuse LPC (Langue Parlée Complétée), c’est-à-dire que je transmets la parole des entendants aux sourds via un code manuel autour du visage – un outil de communication qui soutient la lecture labiale.
Comment s’est passée ton intégration en France ? Au sein de ta famille et de la société ?
Très bien ! Au début, j’étais un peu comme une « bête de foire », mes parents habitent dans une bourgade de Bretagne, alors… ! Je suis arrivée en été donc tout le monde allait à la plage, tout le monde savait que j’étais arrivée ; plein de gens venaient me voir, ils étaient très curieux de me connaître. J’ai eu une fois une réflexion, j’étais au CP et un camarade m’a dit « C’est ta mère ? Mais elle te ressemble pas ! ». Dans ma famille, ça s’est très bien passé aussi, j’ai un grand frère, également adopté – français – et tout le monde m’a bien accueillie.
As-tu déjà vécu des difficultés à cause de tes origines ?
Pas vraiment, sauf une fois au collège pour rigoler j’ai eu le droit à « face de citron » mais sinon non, les gens étaient vachement sympa. De plus, j’avais des problèmes de santé qui se remarquaient aussi physiquement, donc mes camarades étaient plutôt bien attentionnés à mon égard, ils me défendaient. Mais, le fait d’être la seule asiatique dans mon établissement et dans mon entourage, je n’aimais pas ça. Je voulais être comme les autres en fait. Du coup, vu que j’ai eu une éducation « française », il y avait une sorte de dichotomie entre mon image dans la glace et ce que j’avais dans l’esprit. Pour moi, je me sentais française et lorsque je me regardais dans un miroir, je voyais une Asiatique : ça n’allait pas en fait ! Par exemple je voulais être blonde quand j’étais petite. J’avais même demandé à ma mère de me décolorer les cheveux et de les boucler, évidemment elle avait dit non ! Ça a duré jusqu’à mes 18 ans environ, j’avais honte en fait d’être asiatique. Vers cet âge-là, j’ai rencontré une autre Coréenne adoptée aussi et ça m’a aidée inconsciemment à accepter ; on avait des choses en commun. C’est à cet âge-là que j’ai commencé à découvrir que la différence est finalement un atout, parce que tu n’es pas comme les autres.
Tu es arrivée en France à 4 ans et demi, avant ton adoption, étais-tu en orphelinat ?
J’étais avec ma famille jusqu’en février 1985 et j’ai été adoptée en juillet donc je n’y suis pas restée longtemps. Parce qu’en fait, j’étais très prête, j’attendais impatiemment d’être adoptée ! C’est ce qui était écrit sur mon dossier d’orphelinat, il était marqué que je savais me laver toute seule, je rangeais mes jouets toute seule, j’étais très disciplinée. D’autre part, je sollicitais beaucoup la compagnie des adultes et, tous les jours, je demandais aux éducateurs s’ils m’avaient trouvé une famille. J’étais très consciente de la situation, mes parents avaient dû bien m’expliquer la raison pour laquelle ils me déposaient à l’orphelinat. Et c’est vrai car j’ai toujours su que j’avais été adoptée à cause de mes problèmes de santé.
Comment et quand t’est venu l’intérêt pour ton pays natal ?
Cela m’est venu quand j’ai commencé à accepter mes origines, on va dire vers 20 ans. Je me suis dit qu’il fallait que je retourne en Corée. Je traversais une période très difficile à l’époque et j’avais besoin de savoir qui j’étais, d’où je venais : mes racines. C’était dans ma tête et, c’est curieux, un jour lorsque je faisais mes études, j’ai rencontré par hasard un homme coréen qui était prof de français à l’université de Séoul. Il faisait une année sabbatique en France et par la suite nous sommes restés en contact via le net.
Puis un jour en 2005, je me suis dit « il faut que je parte ». Du coup, j’ai envoyé un mail à ce professeur pour lui faire part de mon projet de recherches sur mes origines. Il m’a dit de venir vers fin septembre et je suis partie pour la première fois en Corée le 25 septembre 2005 ! Et, curieusement encore une fois, par hasard, grâce à un serveur d’un restaurant chinois, j’ai eu les coordonnées d’une Coréenne qui m’a gentiment donné des cours de coréen à raison de deux heures par semaine et c’est ainsi que j’ai commencé à apprendre, six mois avant mon départ.
Tu as pu retrouver tes parents biologiques, peux-tu nous expliquer comment tu as fait ? Combien de temps ça a pris ?
Ça ne m’a rien pris du tout comme temps, cela s’est passé en une demi-journée. Je suis partie en Corée avec mon dossier d’adoption. J’avais la chance d’être avec le professeur que j’avais rencontré auparavant en France, il parlait parfaitement le français. Quelques jours après mon arrivée en Corée, nous nous sommes rendus à l’orphelinat avec le dossier et nous avons discuté avec la directrice. Elle a pris les coordonnées de mon ami puis nous sommes repartis. On est alors allés se balader au bord du lac Hangang pour que je « digère » un peu cette entrevue et, deux heures plus tard, la directrice a appelé sur le portable de mon ami pour lui dire qu’elle avait retrouvé mes parents et qu’ils venaient me chercher ce jour même à 18 heures ! Du coup, nous sommes retournés chez mon ami prendre quelques affaires et à 18 heures ma famille était là, hormis mon père car il ne pouvait pas s’absenter du travail.
Tous pleuraient, ma famille, la directrice, mon ami professeur qui traduisait les propos, sauf moi et mon frère plus jeune de deux ans, il n’avait pas assez de souvenirs mais il était affecté. J’étais là à les écouter, les observer, je ne pleurais pas. C’était comme si j’écoutais l’histoire de quelqu’un d’autre, je les voyais pleurer mais ça ne me touchait pas. Puis tout à coup, je me souviendrai toujours de ce regard, nous étions assis tous autour de la table, ma mère expliquait pourquoi j’avais été adoptée etc. Et, le visage de la directrice de l’orphelinat, elle me regardait avec un air, ce regard qui disait « Mais ce n’est pas possible, elle est totalement insensible cette fille ! » et là, tout à coup, j’ai commencé à prendre conscience de ce qui m’arrivait. Je ne réalisais pas que c’était moi, qu’il s’agissait bien de moi : je retrouvais mes parents ! À cet instant-là, j’ai commencé à pleurer, je ne pouvais alors plus m’arrêter !
Comment tes parents adoptifs ont pris-ils ta décision ?
Très bien, ils étaient très encourageants ! C’était pour aller mieux donc ils m’ont vraiment soutenue. De plus, ils avaient rencontré l’ami professeur qui m’a hébergée en Corée. Ils étaient donc confiants, ils savaient que j’étais entre de bonnes mains chez lui avec sa femme et son fils. Mais c’est vrai qu’ils ont eu très peur à un moment au cours de mon voyage. Ils ont cru que je n’allais plus revenir. Par ailleurs, les amis de mes parents adoptifs leur racontaient plein de trucs pas rassurants, mais qu’en savaient-ils, ils ne connaissent pas. Alors oui, mes parents ont été très inquiets, au point de m’appeler chez mes parents biologiques. En effet, je ne donnais que très peu de nouvelles, je n’osais pas demander à appeler chez moi en France parce que le prix de la communication coûtait cher. Alors, lorsque j’ai reçu l’appel de mon père et qu’il a entendu à travers le combiné qu’on m’appelait Dong Yeon, cela l’a effrayé et il s’est emporté ! Il a vraiment cru que je reniais celle que j’étais devenue, leur Lena française, leur fille tout simplement. J’ai dû le rassurer longuement parce qu’une discussion par le biais du téléphone n’est pas simple à la compréhension lorsque l’interlocuteur s’est imaginé des choses obstinément ! Cette fois, c’est moi qui ai pleuré, parce que c’était très dur de l’entendre aussi bouleversé, sentir dans sa voix son angoisse ; je concevais en fait ce que mes parents pouvaient ressentir.
Quand tu es retournée en Corée la première fois, est-ce que des lointains souvenirs te sont revenus ? Des odeurs, des images, des sons familiers… ?
Carrément ! Lorsque l’on m’a montré des photos de moi quand j’étais petite, là où nous habitions, tout de suite j’ai dit « Ah c’est comme ça ici, et là-bas il y avait ça ». Ça avait fait pleurer ma sœur – biologique -, elle disait « comment c’est possible que tu t’en souviennes ? », notamment au regard d’un événement assez traumatisant aussi. Je me souvenais de plein de choses mais j’ignorais si c’était des souvenirs ou si je les avais rêvées. À la fois c’était très bizarre aussi, parce que ma famille biologique, ils étaient autant des étrangers qu’ils étaient ma famille, tout de suite il y a eu quelque chose, je ne sais pas, je ne peux pas l’expliquer, ce doit être les liens du sang qui sont très forts. En fait, en les voyant, je savais que c’était eux ! J’étais à la maison, c’était ma mère.
Par contre, durant mon deuxième voyage dix ans après, je me suis sentie davantage étrangère parce que dix ans s’étaient écoulés aussi et je me sentais pour la première fois française en fait, parce qu’à vrai dire, je ne me suis jamais sentie ni réellement française, ni réellement coréenne. Et encore aujourd’hui, quand bien même là-bas au cours de ce second voyage j’ai « ressenti » ma nationalité française, je suis l’une et l’autre, mais pas complètement les deux.
As-tu rencontré des difficultés liées à la différence de culture ? Au niveau de la langue ?
Oui oui, surtout pendant mon deuxième voyage. Surtout au niveau des mœurs. Par exemple, la façon de s’adresser à quelqu’un. Par exemple, en France, c’est assez ouvert, quand ça gueule, ça gueule, je peux parler crûment, mais en Corée tu ne peux pas en fait. Il y a beaucoup de retenue, notamment envers les aînés. Par exemple, mon père biologique avait très peur pour moi quand je partais toute seule, il ne voulait pas mais je le faisais quand même, il m’expliquait la raison de ses inquiétudes, que j’entendais bien sûr, mais à la fin je n’en pouvais plus qu’il me traite comme une enfant, comme si j’étais celle qu’ils avaient quittée trente ans auparavant, alors je finissais par réagir comme une « gamine » qui s’énerve et je lui répliquais fortement sur un ton très familier et peu courtois « aleosseo ! » comme si je disais « C’est bon ! Fous-moi la paix ! ». Cela passait parce qu’ils savaient que je ne parlais pas parfaitement coréen et aussi parce que j’étais leur fille qu’ils avaient « abandonnée » mais, normalement, on ne parle pas comme ça à ses parents. Parfois, ils me disaient – surtout mon père – « non tu ne me dis pas ça à moi comme ça », mais ils riaient toujours.
En fait à côté de la Corée, en France on paraît beaucoup plus laxistes. Du coup parfois je me disais « mais ils ne savent pas vivre », pourtant ils savent s’amuser, bien même ! Mais il y a sans cesse un contrôle permanent inconscient, je ne sais pas. Quelques fois, ça m’agaçait parce que je l’observais, cette population coréenne, et je me disais dans ma tête « mais lâchez-vous ! ».
Le fait que tu sois coréenne avec une éducation française, est-ce que ça t’a posé problème ?
Oui, mais sans grande importance. En fait les gens s’attendaient à ce que je me comporte comme une Coréenne alors que j’ai eu une éducation française. Ils me regardaient avec des « yeux noirs » quand je fumais et/ou parfois à cause de mes manières. Mais je leur disais que j’étais française et ils réagissaient avec surprise face à cette annonce mais ils me souriaient très vite avec une grande amabilité. Les Coréens aiment beaucoup les Français.
Aussi, dans le quartier de mes parents, mon père ne voulait pas que j’aille acheter des cigarettes alors il y allait pour moi. Et je n’avais pas le droit de fumer dehors, alors je fumais sur le toit ! Une fois, on attendait devant le restaurant de ma mère et j’avais envie de fumer une cigarette et mon père m’a dit « non non non ! » et il m’a emmenée dans un parc super loin pour fumer, pour qu’on ne me voie pas. Même à Séoul, je me suis fait fusiller du regard par les gens en fumant.
Aujourd’hui comment vis-tu le fait d’avoir finalement deux familles, une en France et une en Corée ?
C’est une véritable chance. Mais je fais une différence entre les deux familles, c’est très bizarre à expliquer. Il n’y en a pas une qui se substitue à l’autre. Elles sont aussi importantes dans mon cœur. Je les respecte toutes deux autant, parce que toutes deux, ce sont des personnes formidables. Après, pendant mon deuxième voyage, je me disais que mes parents français étaient vraiment mes vrais parents. Ils me manquaient énormément. Et du coup, moi qui ne donne jamais de nouvelles, ici je leur écrivais des mails tous les jours ! J’en avais besoin. Là-bas, je me suis rendu compte que j’avais reçu leur éducation et que finalement j’étais bel et bien leur fille.
Par contre, je retrouve la ressemblance physique avec mes parents biologiques ! On se ressemble aussi au niveau du caractère et de la personnalité profonde. Ma mère est très énergique et forte, son esprit est fort, endurant et j’ai cela d’elle. On partage d’autres points aussi, il y a une complicité ineffable entre ma mère biologique et moi, c’est électrique, comme un courant, et j’ai même pris une cuite avec elle et sa copine !
Mais mon deuxième voyage a été très éprouvant, j’avais l’impression d’avoir deux personnalités. En douze heures, je suis passée de Lena à Dong Yeon, Dong Yeon à qui on s’adressait comme à une enfant, du coup, je me surprenais parfois à me comporter non pas comme une véritable enfant mais comme une adolescente, c’est sûr. D’ailleurs, les « ajumas » travaillant dans le restaurant de ma mère croyaient que j’avais 15 ans. Au retour de ce voyage d’un mois, j’ai eu besoin d’être seule, pendant quinze jours, sans voir personne, pour me retrouver, « digérer ». C’était très difficile de passer de l’une à l’autre. Bien qu’il s’agisse d’une aventure formidable, une histoire de vie merveilleuse en fait, il y a des trucs « intérieurs » qui ne s’expliquent pas.
As-tu des conseils à donner à ceux qui voudraient retrouver leurs parents ?
Il ne faut pas écouter ce que disent les gens. Moi, on m’a dit « mais tu sais tu vas retourner là-bas, ça va être très dur, tu risques d’être déçue du voyage, ne jamais retrouver tes parents, etc. ». Je ne les ai pas écoutés et j’y suis allée ! Sans préjugés. Dans ma tête, je m’étais dit que, même si je ne retrouvais pas mes parents, au moins j’aurais retrouvé mes racines, mes origines, d’où je venais. Savoir d’où tu viens c’est hyper important. Fondamental. Il faut partir comme ça, sans à priori, sans forcément attendre quelque chose, profiter de ce pour quoi on est venu, à la découverte de notre pays natal, de ce voyage ici et maintenant, tout simplement !
Un grand merci à Lena pour m’avoir accordé un peu de son temps et pour avoir partagé son histoire !