Le samedi 20 mai, nous avons eu l’opportunité, Cream-Puff et moi, de nous rendre au Korea Day, salon lyonnais centré sur la Corée. Parmi les invités se trouvait Sébastien Falletti, journaliste et auteur français. Nous avons eu la chance de pouvoir le rencontrer et lui poser nos questions.
1) Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?
Je suis journaliste, je travaille pour Le Figaro et Le Point. Je suis actuellement correspondant en Asie. Je suis basé à Shanghai depuis 3 ans et avant j’ai été basé pendant 6 ans à Séoul. Ça fait à peu près 8-9 ans que je suis en Asie, avant j’étais basé à Bruxelles pour les missions européennes, puis un peu à Londres. À la base, je suis parisien. C’est vrai que la Corée est devenu un sujet très important pour moi parce que je suis depuis 10 ans là-bas. J’écris beaucoup sur la Corée du Sud mais aussi la Corée du Nord.
2) Pourquoi la Corée ?
Je me suis retrouvé là-bas un petit peu par hasard, mais je ne connaissais rien de la Corée quand je suis arrivé. Elle n’était pas du tout dans mon horizon. Il s’est trouvé que j’ai décidé d’aller en Corée pour des raisons de travail, il y avait de l’actualité et de la place pour les journalistes. J’ai vécu là-bas, j’ai découvert cette vie en partant de zéro. Ce n’était pas toujours facile au début et puis progressivement, au bout de 2-3 ans, j’ai appris à m’installer en Corée, à me développer une connaissance de ce pays. Je crois que maintenant la Corée fait partie un peu de ma vie. Il y a 3 ans, mon journal Le Figaro m’a demandé de venir en Chine donc je suis parti de Séoul pour m’installer à Shanghai. C’était un grand changement parce qu’évidemment, j’ai déménagé, j’ai travaillé beaucoup plus sur la Chine et quand je suis parti, j’ai dit au revoir à tous mes amis. J’avais une vie en Corée, mais je me suis dit que c’était un chapitre de ma vie qui se clôturait. Depuis 3 ans que je suis en Chine, je me rends compte que je suis surpris à chaque fois que je reviens en Corée d’à quel point je suis heureux de revenir et d’à quel point les gens sont aussi heureux de me revoir. Je me suis rendu compte que la Corée faisait partie de ma vie, d’une façon insoupçonnée, je ne m’y attendais pas.
3) Pourquoi écrire ce livre (ndlr : Corée du Sud : le goût du miracle) ?
Les Éditions Nevicata m’ont demandé d’écrire un portrait de la Corée du Sud pour que je raconte la Corée. C’est ça le point de départ du livre donc je me suis lancé, je l’ai écrit. Au début, je voulais faire un livre plutôt journalistique, assez équilibré, assez factuel et assez critique aussi. Et en fait, en l’écrivant j’étais critique mais j’ai eu beaucoup d’empathie, je me suis rendu compte que la Corée comptait plus pour moi, que j’étais plus attaché à ce pays que je le croyais. C’est le processus d’écriture de ce livre qui m’a aussi révélé à quel point finalement la Corée m’avait marqué : la vie au quotidien, les émotions, les amis, l’énergie qu’il y a en Corée. Je vais continuer à travailler sur la Corée du Sud et aussi sur la Corée du Nord où je suis allé il y a 3 semaines, j’y vais régulièrement. Je m’intéresse aussi à tout le reste de l’Asie, mais la Corée a une place spéciale dans ma vie et à l’intérieur.
4) Est-ce que vous avez eu des problèmes techniques pour l’écrire ou pour faire les interviews ?
Très bonne question parce que pour cette collection, la règle est de faire trois interviews en fin de livre et normalement, ce sont des interviews de locaux. Mais paradoxalement, ce n’était pas si facile que ça de trouver des gens capables en étant coréens d’expliquer au reste du monde, aux Français notamment, ce qu’est la Corée. J’ai contacté des universitaires, des professeurs mais la Corée est un pays un peu coupé du monde, c’est un peu comme une île. Les Coréens vivent un peu dans leur péninsule, ils vivent dans leur monde. Quand on vit en Corée, moi ça m’a beaucoup frappé, on croit que c’est le centre du monde alors qu’en fait la Corée c’est une anomalie, une exception. Du coup, je crois que les Coréens ont une difficulté parfois à se relier à l’extérieur, à établir le lien et surtout ils ont du mal à expliquer à des gens qui ne sont pas coréens qui ils sont parce qu’ils sont un peu recentrés sur leur culture.
Donc quand je cherchais des interviews, finalement, je demandais des choses simples, je leur disais : « Vous savez, c’est pour le public français, ils ne connaissent rien à la Corée. Il suffit de dire des choses très simples ». Et ça, c’est le plus difficile à faire, ça s’appelle de la vulgarisation. J’ai rencontré Benjamin Joinau qui est une des rares personnes occidentales, en tout cas un des rares Français, vivant là-bas depuis très longtemps. Il parle le coréen, il est professeur dans une université coréenne et il a une connaissance infuse de la culture coréenne. Je trouve que dans l’interview il a dit des choses très fortes, très intéressantes sur comment fonctionnent la mentalité coréenne, leur rapport aux autres, le rapport entre les gens, le jeong (la relation entre deux personnes pour un Coréen) et peut-être que ça aurait été difficile pour un Coréen d’expliquer cela à des Français. Donc il y a eu cette difficulté-là et c’est pour ça qu’à la fin, à l’encontre de la tradition de la collection d’interviewer que des locaux, il y a une interview de Benjamin Joinau.
Prenez l’exemple du jeong. J’ai trouvé ça fascinant parce que, je vais vous dire la vérité, même moi qui ai habité en Corée je n’y croyais pas, je n’ai pas compris ce que c’était. J’étais en Corée, les Coréens me parlaient toujours du jeong. Je suis parti de Corée mais, après pour mon travail, je revenais régulièrement tous les 2-3 mois et c’est là que j’ai compris. Je m’étais dit que c’étaient des gens avec qui je n’étais pas proche, qu’on allait se perdre de vue. Mais là, en Corée, c’est l’inverse, car à chaque fois que je reviens et que je vois ces gens-là, ils sont presque encore plus heureux de me voir. Pour eux, cette relation qu’on a établie, avec le temps elle s’étire, elle grossit, elle se développe. Tant qu’on ne l’a pas vécu, c’est très dur d’expliquer ce que c’est et j’ai l’impression qu’en Corée il y a beaucoup de choses comme ça. C’était tout le défi de ce livre d’arriver à ne pas seulement donner des informations factuelles sur la Corée mais aussi donner le goût de la Corée, faire ressentir ce qu’est ce pays.
5) Quels aspects de la Corée vous ont le plus marqué ?
Pour moi, la Corée, c’est un peuple très émotionnel, le cœur parle avant la raison. Il y a un paradoxe, si vous allez en Corée et si vous voyez les films, on peut voir que la Corée a un côté très organisé, les entreprises coréennes sont très rigides, très strictes, on travaille très dur, il y a un cadre très strict, beaucoup plus qu’en France par exemple, mais ça c’est une face. C’est comme pile et face, c’est une face de la pièce, l’autre face c’est que les Coréens à l’intérieur sont des émotifs. C’est l’émotion qui prime donc quand on est en relation avec un Coréen, il y a une émotion qui va passer avant le rationnel.
Une des choses que j’aime, c’est que je trouve que les Coréens sont capables quelquefois de faire des choses allant à l’encontre de leur intérêt, mais parce qu’ils ont une relation avec quelqu’un. Si vous êtes un ami, quelqu’un qui compte, il y a un moment où ils vont faire quelque chose qui va à l’encontre de leur propre intérêt, c’est juste parce qu’ils se sentent liés à vous. C’est assez particulier parce que quand je suis en Chine, les gens sont plus rationnels, plus calculateurs. Les Coréens sont à la fois plus généreux mais aussi plus fous. Ça peut aussi mener à des choses dramatiques, dans le bon et le mauvais sens du terme, parce que quand on aime, on aime totalement et quand on déteste, on déteste totalement. C’est ça l’émotion, ça va dans les deux sens. Une amie coréenne m’a donné un proverbe coréen qui disait : « En Corée, on dit qu’entre l’amour et la haine, il n’y a pas plus que l’épaisseur d’une feuille de papier ». J’ai expérimenté ça dans ma vie et ce n’est pas qu’un proverbe, c’est vrai. Avec eux, c’est soit très chaud, soit très froid, c’est l’amour ou la guerre, c’est blanc ou noir.
6) De quelles façons la France pourrait-elle s’inspirer de la Corée ?
Je pense que la France peut s’inspirer de la Corée d’abord sur une chose, c’est de croire en l’avenir. Les Coréens sont des gens qui croient que l’avenir sera toujours meilleur, qui croient qu’en travaillant dur on va pouvoir réaliser des choses. Les Coréens croient en la volonté, c’est le pays du volontarisme. Ce sont des gens qui pensent que quand on veut, on peut. C’est une énorme qualité. En France, je pense que quelquefois on réfléchit beaucoup trop avant de prendre une décision ; les Coréens, eux, ont cette capacité, je les respecte beaucoup pour ça, d’oser. Quand ils prennent une décision, ils sautent à pieds joints. Vous voyez, il y a une piscine d’eau froide, ils se jettent à l’eau alors que, nous, on va tourner autour, on va mettre un petit doigt de pied pour savoir si je le fais, si je ne le fais pas. Après, quelquefois, ils font des erreurs et ils prennent des coups aussi, ça fait mal, mais ils osent. Nous, les Français, on est un peu opposés, on est des gens qui réfléchissent beaucoup avant d’agir, on fait marcher beaucoup notre cerveau, on hésite, tant qu’on n’est pas sûrs de prendre la bonne décision, on ne prend pas de décision. À la fin, on est au même niveau. Pendant tout le temps durant lequel on a réfléchi, ils ont déjà fait leurs erreurs. On arrive au même point mais on a réfléchi, on n’a pas été vite. Je pense donc que les Français et les Coréens sont assez complémentaires.
Une chose dont on peut aussi s’inspirer, c’est que les Coréens sont des gens très efficaces dans la pratique. Ils sont pragmatiques, ils regardent ce qui marche, ce qui ne marche pas. Si ça marche, on le fait ; si ça ne marche pas, on ne le fait pas. Par exemple, ils sont très bons dans la technologie mais ils font de bonnes technologies, pas des technologies qui ont l’air très jolies mais quand on rentre son code ça ne marche pas ou avec un petit détail qui ne fonctionne pas. La force des Coréens, c’est leur sens pratique, c’est peut-être un point que les Français peuvent développer.
Aussi, il y a un respect des règles de politesse, un respect formel et beaucoup de règles. C’est quelque chose qui, quand on vit en Corée, est parfois très pesant parce que c’est trop et les jeunes coréens en souffrent parce que la société est très rigide. En France, c’est plutôt l’inverse, on est beaucoup plus relax, c’est plus agréable. On peut aussi apprendre des Coréens un respect de la personne qu’on a en face, le respect de la politesse, le respect des formes. C’est aussi une façon de vivre ensemble, d’avoir une société plus respectueuse de chacun. Les Coréens ont cette attention aux personnes qui sont autour d’eux. Je crois que l’important, c’est de dire que les Français et les Coréens sont très différents et c’est pour ça qu’il y a quelque chose qui peut être fait en France, on peut chacun s’apporter des choses. Les Français peuvent apporter aux Coréens un esprit critique, c’est quelque chose de manquant en Corée qui est un pays où on suit les ordres, on obéit aux chefs et à ce qui est dit et, souvent, il y a un manque de recul, que ce soit dans la société, dans la politique, on suit. Les Français ont cette capacité à poser des questions, à se demander si c’est une bonne chose ou non.
7) Pour finir, est-ce que vous avez des projets ?
Bien sûr, il faut toujours avoir des projets, comme les Coréens. Oui, j’ai des projets. Maintenant, je suis entre Shanghai et Séoul, je continue à écrire beaucoup à la fois sur l’Asie, la Chine mais aussi sur la Corée parce qu’il y a beaucoup d’actualités en ce moment. J’aimerais bien écrire un nouveau livre, peut-être sur la Corée du Nord. Je vais continuer à raconter la Corée mais aussi l’Asie aux Français. J’ai la chance de pouvoir vivre là-bas depuis quelques années donc j’aimerais donner des clés aux Français pour comprendre ce qu’est l’Asie parce que, l’Asie, c’est différent. Ce n’est pas les mêmes mentalités que chez nous. Je voudrais donner envie de mieux comprendre les peuples. La K-pop est une bonne accroche pour entrer dans la Corée mais après il y a toute la culture derrière. Derrière la K-pop, on peut croiser la mentalité, les règles, le travail et aussi le côté très dur de la société, beaucoup de jeunes sont très stressés. Il y a un très fort taux de suicide parce qu’il y a une grosse pression.
Des deux côtés, chacun veut chercher ailleurs quelque chose mais il faut qu’il y ait des points de rencontre entre les deux. J’ai eu la chance par mon travail de pouvoir être un « passeur », faire passer des choses entre les deux cultures, entre la Corée, l’Asie et l’Europe, et vice versa. Je vais continuer de faire ça et partager la chance que j’ai de pouvoir voyager dans ces pays.
Un grand merci à Sébastien Falletti de nous avoir consacré un peu de son temps.
Retrouvez son livre Corée du Sud : le goût du miracle chez les Éditions Nevicata.
Interview réalisée par Cream-Puff et Mia
Image de Une par Cream-Puff