Dans Boston 1947, le réalisateur de Nom de code : Shiri et Frères de sang filme le marathon qui a marqué à jamais l’histoire de la nation sud-coréenne.
Cet article contient des spoilers dans la mesure où il propose une réflexion autour des enjeux politiques et sportifs que le film Boston 1947 met en avant. La finalité de la course est révélée, donc si vous souhaitez garder le suspense car vous ne connaissez pas cet épisode de l’histoire contemporaine sud-coréenne, dirigez-vous vers l’article de Ceci qui a présenté le film avant sa sortie. N’hésitez pas à revenir me lire plus tard quand vous aurez visionné le film ou à continuer votre lecture dès à présent si les spoilers ne vous dérangent pas.
Présentation du film
Boston 1947 s’inspire de faits historiques réels. Laissant une bonne part au souffle épique, il n’en est pas moins très intéressant dans la manière dont il restitue les enjeux sportifs et politiques auxquels sont confrontés les personnages du film.
Affiches officielles de Boston 1947 avec Im Si Wan et Ha Jung Woo
Synopsis
Ancien marathonien médaillé d’or sous drapeau japonais aux Jeux olympiques de Berlin en 1936 , Son Gi Jeong entend faire participer la zone sud de la Corée aux Jeux olympiques de 1948 à Londres en tant que nation à part entière, la péninsule étant débarrassée de l’occupation nippone. Pour cela, il faut que le pays soit reconnu comme indépendant et autonome aux yeux de la communauté internationale, et surtout, qu’il ait participé à une compétition sportive officielle. Son Gi Jeong recrute alors le prometteur Seo Yoon Bok dans l’espoir de le faire courir au marathon de Boston le 19 avril 1947. Les obstacles s’accumulent, mais ni Son Gi Jeong ni Seo Yoon Bok ne se laissent abattre. Conscients que l’enjeu de cette course est décisif pour la nation coréenne en construction, ils n’abandonnent pas… jusqu’aux derniers mètres.
Bande-annonce sous-titrée en anglais pour Boston 1947 de Kang Je Gyu
Équipe, casting et personnages de Boston 1947
Kang Je Gyu est un réalisateur sud-coréen important de sa génération. La plupart de ses films, tels que Nom de code : Shiri (1999), Tae Guk Gi : Frères de sang (2004) et My May (2011), prennent pour cadre l’histoire contemporaine de la Corée, en particulier les relations entre le Nord et le Sud. Le cinéaste a inauguré en son temps une nouvelle manière de présenter le Nord en mettant en scène des personnages humains portant les enjeux à contrepied d’un manichéisme prédominant dans le cinéma coréen. Une démarche qu’on rapproche de celle de Park Chan Wook dans JSA, gros succès en son temps.
Avec Boston 1947 qu’il co-écrit avec la scénariste Lee Jung Hwa, Kang Je Gyu s’attaque à une dimension différente de l’histoire de son pays mais la traite comme à son habitude, c’est-à-dire sans se laisser aller à un patriotisme exacerbé.
Ha Jung Woo (à gauche) et Im Si Wan (à droite) n’abandonnent jamais dans Boston 1947
Les acteurs portent le film par leurs excellentes interprétations. Ha Jung Woo (Along with the Gods 1 et 2 en 2017 et 2018, Mademoiselle 2016) est admirable en ancien marathonien amer qui s’improvise entraîneur pour porter au sommet le personnage de Seo Yoon Bok, joué par Im Si Wan (Défense d’atterrir 2022, Run On 2020, Strangers From Hell 2019, Misaeng 2014). Ce dernier incarne à la perfection le jeune coureur, et même si cela ne nous surprend pas, l’acteur prouve une nouvelle fois qu’il peut tout jouer. Ce rôle exigeant lui sied à merveille grâce à son physique fluet et au regard déterminé qu’il offre dans de très belles séquences. Sa ressemblance avec le véritable marathonien est frappante.
Pour ajouter à la qualité du film, la relation qui se tisse à l’écran sous nos yeux entre ces deux protagonistes apparaît sincère en raison d’une belle alchimie que partagent ces deux grands acteurs. L’importance de Bae Sung Woo (Lucky Strike 2020, Live 2018) dans le rôle de Nam Seung Yong n’est cependant pas à négliger. La bonhomie du personnage que l’acteur transmet merveilleusement est essentielle à la construction du lien particulier que partagent Son Gi Jeong et Seo Yoon Bok.
Marathon de Boston en 1947 : l’objectif d’une nation
La Corée du Sud en 1947, une nation en quête de reconnaissance
Boston 1947 donne à voir une période peu mise en scène dans le paysage audiovisuel sud-coréen : celle de la transition entre l’occupation japonaise, qui prend fin en 1945, et les premières élections du printemps 1948, à l’issue desquelles Rhee Syngman est élu premier président de la République de Corée. Entre septembre 1945 et le milieu de l’année 1948, la partie sud de la péninsule est sous tutelle des États-Unis tandis que la partie nord est sous égide de l’Union soviétique, la frontière se situant au 38e parallèle.
Ha Jung Woo ne lâche rien et montre toute la ferveur de Son Gi Jeong dans Boston 1947
Kang Je Gyu et Lee Jung Hwa retracent l’épopée de leurs protagonistes et montrent comment ils surmontent à chaque étape des obstacles consubstantiels aux enjeux politiques et historiques de ces années 1945-1948. Nation sous tutelle de l’Organisation des Nations unies, la partie sud de la Corée n’est pas considérée comme une nation libre et autonome. Trouver un financement pour le voyage à Boston, imposer le drapeau coréen sur le maillot pour la course sont autant d’épreuves auxquelles sont confrontés les personnages. Mais le trio de sportifs n’entend pas abandonner, et c’est finalement leur détermination et leur foi indéfectible en la nation coréenne qui leur permettent de triompher. Boston 1947 ne verse cependant jamais dans un patriotisme exacerbé et met plutôt en scène une nation en construction, en quête de reconnaissance, qui s’affirme aux yeux du monde avec les armes dont elle dispose.
Le marathon d’une nation, quand sport et histoire se mêlent
Faire participer la Corée du Sud en tant que telle au marathon de Boston est un objectif autant personnel que politique pour Son Gi Jeong. Lui ne court plus comme à l’époque, et c’est pourquoi il compte sur le jeune Seo Yoon Bok pour terminer la course et montrer au monde que les Coréens sont les meilleurs marathoniens du monde à cette époque. Comme l’a décrit Ceci dans son article de présentation de Boston 1947, les médailles que les Coréens ont gagnées au Jeux olympiques de Berlin en 1936 sont enregistrées comme victoires japonaises. Une des ambitions de Son Gi Jeong est donc de faire rentrer la Corée dans l’histoire. C’est sur cette corde que le long-métrage joue de bout en bout, distillant aux moments propices suspense et émotion.
Les protagonistes de Boston 1947 savourent leur victoire et partagent un moment émouvant qu’ils savent décisif pour leur pays. Ce n’est pas seulement leur victoire, c’est celle de la nation sud-coréenne.
Que Seo Yoon Bok remporte le marathon de Boston en 1947 et batte le record du monde détenu par son mentor ne sont pas seulement un moment historique dans le domaine du sport, c’est également un moment marqué à jamais dans l’histoire de la nation coréenne. Elle obtient une reconnaissance internationale qui lui était refusée jusque-là. Le spectateur est réellement émotionnellement impliqué dans cet événement grâce au travail incroyable du réalisateur et de son équipe technique. Son Gi Jeong atteint son but : l’année suivante, en 1948, la République de Corée envoie pour la première fois une délégation aux Jeux olympiques d’été de Londres.
Mon avis sur Boston 1947 : véritable coup de cœur
Boston 1947 est un véritable coup de cœur ! Quel bonheur de voir se déployer un film historique qui s’empare d’événements réels et les reconstitue en trouvant un parfait équilibre entre réalité et fiction. Cette balance fait tout l’intérêt du long-métrage et il faut saluer le travail de Kang Je Gyu. Il réalise pour moi un coup de maître puisqu’il parvient à entretenir un suspense et à nourrir une tension autour du marathon, mais surtout autour de ce que cela implique pour les personnages et pour la nation coréenne tout entière.
Boston 1947 met en scène un moment important de l’histoire du sport et de la nation coréenne
La reconstitution de l’atmosphère des années 1946-1947 en Corée et du marathon à Boston est visuellement impressionnante et permet une immersion totale dans la période et les enjeux qu’elle représente. Au-delà d’être un excellent film sportif inspiré de faits réels, Boston 1947 est surtout un excellent film historique. Aussi ne serait-il pas forcément aussi réussi sans la participation et surtout l’implication du casting. Ha Jung Woo et Im Si Wan sont admirables dans ces rôles que je trouve particulièrement exigeants.
Sources : MyDramaList | Hancinema | Agence de presse Yonhap