À propos de l’auteur
Homonyme du grand écrivain et journaliste Han Su Gil (안수길|安壽吉) avec lequel il partage une passion pour les montagnes du Nord, Ahn Soo Gil est né à Chilgok, en Corée du Sud, en 1963. En 1990, deux ans après avoir commencé sa carrière de dessinateur, il est sélectionné à la 12e édition du Yomiuri International Cartoon Contest. Les années 1990 sont florissantes alors qu’il obtient le prix du manhwa de l’année en 1993 pour son ouvrage L’écho du mont Baekdu. Sa série Histoires de Tigres, débutée en 1994, lui apporte le prix d’auteur au concours de la Bande Dessinée organisé par le Ministère Coréen de la Culture en 2000. La passion des tigres ne le quitte pas. En 2001 il publie Tigre. En 2002, c’est aux enfants qu’il dédie son manhwa intitulé Kaichambi, le bébé tigre. En 2003, il sort l’artbook Le tigre blanc de Joseon et en 2004 Le tigre blanc du mont Baekdu. Il meurt, prématurément, le 15 novembre 2005.
Résumé
Histoires de Tigres est un manhwa à l’attention des plus jeunes pour lesquels l’auteur s’attache à transmettre sa passion des tigres et l’histoire coréenne. On y suit plusieurs histoires courtes dans lesquelles des tigres vont et viennent. C’est un tigre curieux qui s’est défié à ne chasser que des volatiles. C’est un autre en rut qui aimerait bien s’accoupler, impuissant pendant la saison des amours. C’est un autre, affamé, qui rêve d’une chasse au sanglier jusqu’à l’autre bout du monde. Et il y a le tigreau, qui orphelin de mère, part en plein hiver en quête de survie. Il y a aussi les chasseurs russes, coréens, japonais de la fin du XIXe siècle que l’avidité des bois de cerf, de ginseng et des fourrures glissent dans la région. Les histoires se croisent pour une belle leçon éducative.
Mon avis sur Histoires de Tigres
Les oeuvres de Ahn Soo Gil jouent entre l’éducation zoologique, la morale anthropomorphe et l’histoire. La morale s’entremêle habilement aux faits historiques et à la découverte du monde animal. Le tigre y est dépeint dans toutes ses caractéristiques. Tantôt animal sauvage aux stratégies de chasse, tantôt satyre du monarque, il revêt les allures terrifiantes du « mangeur d’hommes » pour mieux porter la peau du triste disparu. Finalement, c’est la vaillance aux abois de l’esprit de Joseon qui s’incarne sous le pinceau d’Anh Soo Gil.
Un style propre et maîtrisé
La qualité graphique du style de Han Soo Gil est indéniable. Jouant harmonieusement des coups de pinceau et de la plume, la représentation des tigres renvoie directement à la tradition de la peinture minhwa. Tantôt grotesque comme on le perçoit dans les arts populaires, tantôt majestueux et prêt à accompagner le Dieu de la Montagne Sansin, le tigre glisse de case en case dans une mise en page très proche du manga. Le réalisme du trait et l’utilisation des nuances de gris rencontrent aussi un style très coréen notamment dans la représentation du regard des bêtes. Des planches entières ouvrent sur des paysages de montagne et des scènes de genre de la vie animale. Le ton décalé que choisit l’auteur pour nous faire entrer dans la vie du tigre tranche avec d’autres oeuvres dédiées aux animaux et moins bavardes. Pourtant, cette parole donnée aux tigres est une manière de créer une proximité avec le redoutable félin désormais disparu.
Le tigre, personnification de la Corée
Les tigres, qui traversent les montagnes de pages du manhwa, sont la personnification tantôt de la vaillance coréenne, tantôt de la décadence royale. Les premiers récits dépeignent le tigre comme un roi de la forêt, puissant mais à la merci de ses propres instincts prédateurs. Sa puissance lui apporte autant de proies craintives que de badauds moqueurs. L’impulsivité et la violence du tigre que l’on retrouve dans les récits mythologiques coréens transparaissent dans les planches d’Ahn Soo Gil. Son pelage aux allures royales – formant l’idéogramme 王 (Wang), « Roi » en Hanja – représente dès lors la monarchie Joseon et ses monarques, plus Yonsan que Sejong d’ailleurs.
Une autre histoire use d’un tigre en rut pour parler des mâles à qui les mésaventures lubriques apportent moqueries. Plus proche du pansori Byon Gangsoé, cette historiette fait du tigre une satire de la puissance réduite à l’impuissance. Le tigre devient la personnification des mauvais tempéraments et de la force vaine.
Le récit cède la place à l’histoire du chasseur russe Yannkovski, suivi dans le tome 2 par la guerre de survie entre un tigre orphelin et les soldats japonais qui le traquent pour sa peau. La course prédatrice du tigre, comme des hommes dont les terres ne peuvent se partager, aboutit à un violent carnage où le tigre devient l’incarnation d’un dieu de la forêt vengeur, l’esprit sauvage et la vaillance de Joseon qui ne se plie pas à l’avidité des forces étrangères. La relation de respect qui s’établit entre le vieillard de la montagne qui le soigne et le grand prédateur rendu gourmand du sang humain personnifie la relation confucéenne de l’homme et de la nature. Même une bête sauvage respecte l’aïeul qui l’a épargnée. Ces principes moraux soulignent le manque d’éthique de la société des humains qui détruisent la forêt, massacrent les animaux et vont jusqu’à anéantir le roi de la forêt. En ce sens, le manhwa est une oeuvre éducative qui présente aux enfants à travers le tigre, les façons d’être en société.
Une oeuvre de mémoire
C’est aussi un ouvrage de mémoire qui veut éduquer à la perte de l’identité coréenne lors de la première moitié du siècle dernier. Les Histoires de Tigres deviennent alors des outils pédagogiques pour expliquer des éléments oubliés du passé coréen. La présence des tigres, qui fonde une grande partie de la culture coréenne et du rapport des Coréens à la nature, rappelle d’autant mieux leur absence contemporaine.
Sur les traces de Lim Sun Nam, à qui il dédie ses livres, Ahn Soo Gil participe à la reconnaissance des tigres coréens disparus durant la colonisation japonaise. La modernisation du pays et la déforestation du nord de la Corée et de la Mandchourie ont grandement contribué au recul des écosystèmes naturels coréens. Le tigre, animal important du folklore coréen et de la royauté de Joseon qui l’avait pris comme emblème, n’échappe pas à la destruction, si bien que dès les années 1930, les tigres sont introuvables en Corée. La perte de l’animal sacré est aussi une manière de parler du besoin de préservation des écosystèmes naturels.
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Extrait d’un documentaire exposant les recherches de Lim Sun Nam, activiste animalier, rêvant de trouver des tigres en Corée du Sud.
Conclusion
Ainsi, Histoires de Tigres est une oeuvre sympathique qui vous transportera dans l’histoire coréenne mais qui vous offrira aussi une première expérience de la littérature comme de la culture coréenne dans tout ce qu’elle rassemble de potache, de rythme, d’expressivité, de majesté, de subversion et de morale.
Pour aller plus loin, outre de vous inviter à lire les manhwa de Ahn Soo Gil, vous pouvez voir le film Daeho de Hoon Jung Park qui retranscrit sur grand écran les planches de ce dernier. Le tigre et le chasseur se poursuivent dans une lutte sans merci au sein des montagnes sauvages coréennes. C’est un magnifique film à découvrir. Enfin, pour ceux qui n’ont pas eu la chance en 2016 de visiter l’exposition Tigre de Papier, on vous invite à lire ces superbes explications !
Où le trouver ?
Histoires de Tigres tome 1 de Ahn Soo Gil, Ed. Claire de Lune, ISBN : 2352254748, 2013
Histoires de Tigres tome 2 de Ahn Soo Gil, Ed. Claire de Lune, ISBN : 2978-2-353-25478-1, 2013
Article rédigé par Casado Hélène.