Vous avez peut-être entendu parler de ces tristement célèbres « femmes de réconfort », notamment dans les affaires de diplomatie entre la Corée et le Japon. Nous allons évoquer aujourd’hui une sombre histoire de guerre qui reste gravée dans la mémoire des Coréens. « Femmes de réconfort » est un terme employé par les Japonais, principalement durant la Seconde Guerre mondiale, pour désigner les esclaves sexuelles. Ce terme ne désigne pas seulement les Coréennes, il s’est répandu dans toute l’Asie pour qualifier ce sombre trafic.
Contexte historique et origines des « maisons de réconfort »
Il faut replacer tout cela dans un contexte bien particulier. Au lendemain du massacre de Nankin – épisode de la seconde guerre opposant la Chine au Japon, des milliers de civils ont été assassinés et violés par les forces impériales japonaises –, le gouvernement japonais a décidé de mettre en œuvre des mesures visant à réduire le nombre de viols par les soldats. Le but n’était cependant pas de les « frustrer » mais de mettre à disposition des femmes afin qu’ils puissent assouvir leurs besoins, le tout en étant protégés de diverses maladies sexuellement transmissibles. Un problème s’est alors posé : où trouver le nombre suffisant de prostituées ?
C’est le ministre de l’Armée japonaise, Hajime Sugiyama, et le prince Kotohito Kanin qui décidèrent d’ouvrir des maisons closes, aussi appelées « centres de délassement ». Ces maisons closes étaient gérées par l’armée, la Marine ou encore les gouvernements locaux. L’homme à la tête de chaque maison touchait un pourcentage par prestation. Les femmes, elles, ne recevaient qu’une petite rémunération fixée d’emblée par l’armée japonaise.
Les victimes ou « femmes de réconfort »
Les femmes qui œuvraient dans ces maisons closes étaient principalement étrangères, venant de Corée, de Chine, des Philippines, mais également du Japon. Certaines femmes étaient « recrutées » de force pour faire face à la demande des soldats. Concernant la Corée, le chercheur et historien japonais Ikuhito Hita affirme que la plupart des « femmes de réconfort » auraient été « recrutées » par l’administration collaborationniste coréenne. Cette dernière aurait trompé ces femmes, la plupart du temps mineures, en leur faisant croire qu’il s’agissait de travail en usine.
Le nombre de victimes varie en fonction des personnes et organismes interrogés. La Korean Central News Agency dénombre pas moins de 200 000 victimes coréennes alors que Yoshiaki Yoshimi, un historien japonais, compte 200 000 victimes toutes nationalités confondues. Des chercheurs chinois se sont également penchés sur la question et estiment le nombre de victimes à 410 000, dont 142 000 femmes coréennes. Il n’existe pas de chiffres officiels, certains variant de plusieurs centaines de milliers, il est très difficile de se faire une idée du nombre exact de femmes victimes de cet esclavage sexuel.
Les langues ne se sont déliées que vers les années 1950 autour de cet épisode sombre de l’Histoire. D’autres études sont donc à prévoir à l’avenir avec des chiffres beaucoup plus précis. D’ailleurs, la Corée est toujours en train de mener des recherches afin d’apporter d’autres éléments. Les survivantes ont longtemps vécu dans la honte, de peur d’être jugées, elles n’ont rien dit pendant des années. C’est le cas des « halmoni » (littéralement « grand-mère ») qui ont finalement décidé de sortir de l’ombre et de s’exprimer sur ce qu’elles avaient vécu. De nombreux témoignages sont encore recensés aujourd’hui.
Une reconnaissance internationale tardive
Ces témoignages ont aidé ces femmes à avoir une certaine reconnaissance en tant que victimes, notamment à l’international. Les premiers étaient japonais, mais dès 1991, les femmes coréennes ont décidé à leur tour de témoigner des horreurs qu’elles avaient pu vivre pendant la guerre dans ces fameuses « maisons de réconfort ». Cette même année, Kim Hak Sun a demandé que soit engagée une procédure judiciaire à l’encontre du gouvernement japonais afin qu’il reconnaisse ces crimes. Peu de temps après, de nombreuses femmes sont sorties du silence pour témoigner à leur tour, l’année 1992 a d’ailleurs été marquée par des manifestations hebdomadaires devant l’ambassade du Japon à Séoul.
C’est en 1993 que le Japon reconnaît que l’armée était impliquée dans l’implantation des maisons closes. Le ministre de l’époque, Kiichi Miyazawa, s’excuse officiellement face au peuple coréen lors d’un voyage en Corée. Le gouvernement reconnaît également que les femmes « recrutées » l’étaient dans une majorité des cas contre leur gré. À cette même période, plusieurs pays s’unissent aux côtés des victimes et demandent au Japon d’agir. Beaucoup de collectivités locales au Japon demandent également au gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin de reconnaître officiellement les victimes. De nombreux monuments sont érigés à travers le monde, rendant hommage aux victimes.
Une affaire toujours d’actualité
L’année 2015 a grandement marqué l’histoire des relations diplomatiques entre la Corée du Sud et le Japon. En effet, le 28 décembre a été conclu un accord entre les deux pays. Le Premier ministre Shinzo Abe a exprimé ses plus sincères excuses aux victimes et « son repentir, du plus profond du cœur ». En plus de ces excuses, le Japon verse 7,5 millions d’euros de dédommagement aux anciennes « femmes de réconfort ». Cet accord est cependant critiqué des deux côtés. Au Japon, les nationalistes estiment qu’il s’agit d’une traîtrise de la part de leur gouvernement. En Corée, les anciennes victimes reprochent au Japon l’absence de responsabilité officielle et critiquent le fait que l’argent donné aux victimes ne soit pas une réelle compensation.
L’histoire des « femmes de réconfort » connaît encore aujourd’hui des rebondissements. En effet, une nouvelle affaire a éclaté ces derniers jours, n’améliorant pas les relations entre la Corée et le Japon. Le 28 décembre dernier, une statue rendant hommage à ces femmes a été érigée par des militants devant le consulat du Japon à Busan. Le Premier ministre japonais a sommé le gouvernement sud-coréen de la retirer le 8 janvier 2017 avant de rappeler son consul à Tokyo. Ladite statue a été retirée, mais les autorités locales ont finalement autorisé les militants à la remettre en place. Ce mouvement de protestation fait suite à la visite du ministre japonais de la Défense au sanctuaire de Yasukuni au Japon, sanctuaire honorant les criminels de guerre japonais.
Les « femmes de réconfort » risquent de faire encore parler d’elles pendant bien des années bien que le nombre de survivantes diminue de jour en jour. La Corée souhaite une réelle reconnaissance par le Japon ; quant au gouvernement japonais, il estime avoir fait son devoir. Allant de provocation en provocation, cet épisode de l’Histoire des deux pays ne fait qu’envenimer leurs relations. Ce sujet des « femmes de réconfort » reste aujourd’hui encore un point sensible dans les affaires diplomatiques.
Pour ceux qui voudraient aller plus loin, Cho Jung Rae a réalisé un film sur ces femmes, se basant sur les témoignages des survivantes. Attention, ce film est déconseillé aux plus sensibles.