Informations
Titre original : 오래된 정원
Pays : Corée du Sud
Réalisateur : Im Sang Soo
Scénariste : Im Sang Soo
Diffusion : 2007
Genre : Drame
Durée : 112 minutes
Synopsis
En 1980, un vent de liberté souffle sur la Corée du Sud. Le « Printemps de Séoul » espérait encore faire de la Corée une démocratie loin des gouvernements militaires et le « Mouvement pour la Démocratisation de Gwangju » n’avait pas encore été réprimé dans le sang. Ho Hyun Woo, militant socialiste participe aux manifestations avant de s’enfuir et de se cacher pendant six mois chez Han Yoon Hee. Il est finalement retrouvé par la police et passe dix-sept ans en prison. Le film raconte, sa libération en 1996 et les bribes de ses souvenirs et de leur histoire.
Casting
Bande-annonce
L’histoire
Le Vieux Jardin est une adaptation du roman éponyme de Hwang Sok Yong. Si le film suit une trame narrative assez littéraire, il échappe au rythme tranquille des pages qui se tournent. On y rencontre Ho Hyun Woo, vieillit par son long emprisonnement, redécouvrant souvenirs après souvenirs, amitiés après amitiés, témoignages après témoignages, le jeune et espiègle homme qu’il fut. Finalement, c’est son rendez-vous raté avec la vie, son brasier d’amour à jamais étouffé, ses rêves de jeunesse réduits au silence que le Vieux Jardin raconte. Et à travers cette histoire humaine, c’est l’histoire coréenne qui se révèle à l’écran. En ce sens, le Vieux Jardin est un film profondément émouvant.
Ji Jin Hee interprète avec brio le jeune homme comme le vieux militant. Tour à tour martyre tragique, héros de quelques fous, pathétique égoïste ou amant ingrat, Ho Hyun Woo est un personnage complexe pour lequel vos sentiments se mouvront pendant deux heures.
Le vieux jardin de notre jeunesse
Le regard triste de Hyun Woo jeune se voile derrière son sourire enjôleur. Derrière le rire soupire la détresse d’une jeunesse qui rêvait de liberté, de poésie et d’épanouissement. Au final, ne reste que le traumatisme du spectacle de Gwangju et des dix années de dictature qui suivirent. Au sortir de l’emprisonnement, il n’y a que les cheveux gris qui illuminent son être. Ravagé par une existence volée, Hyun Woo n’a que les souvenirs de tout ce qu’il a vu et perdu. Femme aimée, ami rendu fou, camarades assassinés. Mais le ton est doux et triste. Comme une fine couche de neige qui se dépose sur sa grisonnante vie, le film s’ouvre vers la fin en un doux espoir.
Au travers de ce personnage, Im Sang Soo rend hommage à ses contemporains disparus, avalés par la répression de 1980 et pause subtilement la question de la valeur des luttes. Plaçant les militants réprimés dans la perspective de leur échec, Im Sang Soo conclut, toutefois, sur une note pleine de beauté et d’espoir. Il rend ainsi un immense hommage à ceux qui participèrent à la démocratisation de la Corée.
Un film de résistance coréenne
Au delà de la romance tragique que vivent les personnages du Vieux Jardin, le film parle de l’histoire résistante de la Corée. Derrière la jeunesse, dévorée par la dictature en 1980, se cache un lignage résistant dont les racines sont dans les mouvements pour l’indépendance lors de l’occupation japonaise. Im Sang Soo le révèle avec discrétion et poésie au travers de l’histoire de Han Yoon Hee. Comme s’il épluchait une à une les feuilles de chou, le réalisateur nous amène au cœur d’une émotion vive et d’un temps de l’histoire à jamais perdu. En ce sens, son film est profondément mélancolique.
Ce film parle aussi des séquelles physiques, morales et idéologiques de toute une génération. Les vieux jeunots de Gwangju se retrouvent à la quarantaine, submergés par les terribles événements dont ils ont été témoins. Ces gueules cassées par l’oppression militaire sont la génération perdue des mouvements démocratiques. La nostalgie emplit la salle de cinéma à leur apparition. Car la vie de Ho Hyun Hee, faîte de pertes et de disparitions, se multiplie à leur apparition. Certain ont perdu un proche, d’autres leur validité physique. Pour d’autres, ce sont les espoirs et la dignité qui ont été volés. Ne reste que le soju pour combler.
Un hommage à la femme coréenne
Mais le Vieux Jardin est aussi un film combatif qui pose réellement la question de la valeur d’une lutte. Le personnage de Choi Mi Kyeong, ouvrière et gréviste qui se donnera la mort en 1986, est là pour nous le rappeler. Un choix idéologique peut conduire à un destin funeste. Et si les hommes sont enfermés, subissent les sévices de leurs bourreaux et reviennent l’âme déchirée d’avoir survécu, les femmes sont les grandes oubliées de ces combats. De devoir soutenir familles et époux emprisonnés, certaines, d’épuisement, se suicident. La mère de Yoon Hee, dont on comprend que le mari était résistant, parle ainsi de cette malédiction familiale qui semble toucher les femmes de sa famille – mais en réalité de tout le pays.
Les femmes furent autant au cœur du « Printemps de Séoul » mais leur militantisme n’était, alors, pas considéré. De labeur en labeur, elles continuaient de porter familles et rêves, forcées parfois de faire les compromis que les époux refusaient. Im Sang Soo leur rend hommage dans le Vieux Jardin. Ce positionnement particulier, le réalisateur l’a déjà pris dans plusieurs de ses films. Il aime à dépeindre des femmes combatives, loin de l’image de la femme effacée. En réalité, si en Occident cette représentation flatte la moitié de l’humanité et fait croire que le réalisateur est progressiste – ce qu’il est, par ailleurs, certainement – la littérature coréenne [1] abonde de ce groupe de femmes déterminées, vaillantes, protectrices et sacrifiées.
Han Yoon Hee, l’émancipation dans la séparation
Femme indépendante qui élève seule sa fille en refusant de se marier. Yoon Hee n’est pas qu’une femme abandonnée. Elle n’est pas victime du choix de son amant, mais comme lui, prisonnière des circonstances politiques et sociales de son temps. Têtue et pugnace, Yoon Hee échappe à la seule représentation de la femme sacrifiée. Preuve en est, la scène où, en pleine dictature militaire, elle se rend à la prison où le père de son enfant est enfermée et ce malgré l’absence de mariage.
Im Sang Soo met à l’honneur la filiation matrilinéaire de Yoon Hee. La grand-mère, la mère et la fille suivent finalement des vies qui ne sont pas valorisées par la société de leur temps. Mais têtues et braves, elles continueront de tracer des voies d’existence pour ce en quoi elles croient. En ce sens, elles acquièrent une incarnation qui dépasse la représentation classique de la femme coréenne. Elles ne sont plus ni protectrices ni sacrifiées mais deviennent des personnalités indépendantes, qui créent, peignent, luttent se mettent en grève et meurent si leurs choix les y conduisent.
Conclusion
Le Vieux Jardin est, à mon sens, un chef-d’œuvre. C’est un film équilibré et poétique qui met davantage l’accent sur le sens que sur la forme. Sans grande prouesse technique que l’effacement de la réalisation, le film est une perle scénaristique qui donne fortement envie de lire le livre. L’hommage rendu à la culture résistante, qui traverse la culture coréenne et est bien antérieur à la Guerre de Corée ou même à la colonisation Japonaise, est profondément émouvante.
La représentation des femmes que Im Sang Soo parvient à extirper du trope coréen de la mère sacrifiée est incroyable. Enfin, pour ceux qui connaissent l’histoire moderne de la Corée du Sud, ils ne pourront qu’essuyer plusieurs larmes. Film politique, poétique et historique, le Vieux Jardin apporte un regard sur la Corée du Sud qui nous est rarement accessible. Si l’on venait à l’avenir à me demander : « Pourquoi la Corée ? » Il est fort à parier que je répondrais : « La réponse est dans le Vieux Jardin. »
Sources : interview de Im Sang Soo |namu wiki
[1] La littérature coréenne dans le contexte de la littérature mondiale et de la Traduction, Un désir de littérature coréenne de Jeong Myeong Kyo, Decrescenzo, ISBN 978-2-36727-018-0, mai 2015
Article rédigé par Casado Hélène.