Les mains de Li Chin s’ouvraient comme des mains de chapeau-du-diable et se refermaient pour devenir des poings aussi durs que des pierres. Elles tournaient, s’arrondissaient et s’épanouissaient à nouveau.
À propos de l’auteure
Shin Kyung Sook est une romancière et nouvelliste prolifique. Elle naît en 1963 à Jeongeup dans la région du Jeolla en Corée du Sud. Très tôt passionnée de littérature, elle commence à travailler à l’usine tout en étudiant le soir. Admise à l’université, elle choisit d’étudier l’écriture créative et poursuit ses études en parallèle de petits boulots. C’est à partir des années 1990 qu’elle commence à vivre de sa plume.
Les prix commencent alors à fleurir à chacun de ses nouveaux ouvrages. Entre 1995 et 1997, elle est félicitée avec les prix Munhak, Manhae puis Dong-In. Dans les années 2000, les prix coréens et internationaux se succèdent ; jusqu’à l’année 2012 où son roman Prends soin de maman reçoit le prix Man Asia offrant à son pays et à son auteure cette première consécration.
Résumé
1890, Li Chin est une dame et danseuse de la cour connue sous le nom de Demoiselle Sô. Orpheline élevée pour servir la reine Myeongseong, Li Chin atteint le coeur du diplomate français Victor Collin de Plancy. Un amour passionné naît alors dans le Joseon qui s’effondre. Entre Paris et Hanseong, la talentueuse danseuse tâchera de vivre dans la tourmente d’un monde qui change trop vite.
Mon avis sur Li Chin
Li Chin est un très bon roman qui vous transportera à la croisée de la fresque historique et de la fiction. Intimiste et personnelle, la plume de Shin Kyung Sook raconte une vision sur la première femme coréenne en France. Bien qu’on ignore bien des choses de l’existence de cette demoiselle, à commencer par son nom et ses réels déplacements, Li Chin est un personnage qui suscite tout de même l’intérêt.
L’auteure prend le parti de la fiction qu’elle assume dès la préface, rappelant aux lecteurs les difficultés à trouver des sources historiques fiables concernant son personnage principal. Mais cette fiction biographique est d’autant plus incroyable qu’elle est parsemée de faits réels documentés. L’héroïne, élevée en dame de la cour, côtoie la reine Myeongseong, le père Blanc (missionnaire français qui a fait bâtir la cathédrale Myeongdong), le diplomate Collin de Plancy. Puis, arrivée en France, elle rencontre Hong Jong U, les initiateurs du Musée Guimet et l’écrivain Maupassant.
Le récit n’en devient que plus réaliste et immerge le lecteur dans la dynastie Joseon finissante. Elle révèle aussi une France du début du vingtième siècle et son rapport à l’ailleurs : la curiosité mal placée des Parisiens devant les zoos humains, le mépris des officiels français face aux représentants coréens… Tout est dépeint avec le regard de cette femme pleine d’amour pour un pays qui semble pourtant l’exclure. Le retour en Corée et le rejet de ses contemporains comme la décadence de son royaume plongent l’héroïne dans un profond désarroi qui remplit le livre à mesure que les pages se tournent.
Une incarnation de la Corée d’avant
Comme une ombre fugace dont on ignore si elle a réellement existé, Li Chin devient, sous la plume de Shin Kyung Sook, la métaphore de la Corée expatriée. Pleine d’envie d’ailleurs, cette figure apprend la langue d’autrui, se plonge dans sa culture jusqu’à en porter l’habit et finit incomprise et rejetée par l’ensemble de ceux qu’elle aime. Car c’est bien d’amour qu’il s’agit. Et si l’affection sincère que se portent les deux personnages principaux ne parvient pas à surmonter les transformations de leur temps et les freins de leurs parents, c’est bien que leur monde n’est pas prêt. Li Chin incarne alors le Joseon malmené par les puissances étrangères et les incohérences internes mais aussi les femmes coréennes contemporaines.
Car des libertés que s’offre l’auteur, il en est une de taille. Dans le récit, c’est Li Chin qui traduit et rédige les premiers romans coréens en français et participe à l’intégration des collections coréennes du Musée Guimet lorsque les sources historiques offrent cette parenté à Hong Jong U. L’héroïne, loin des représentations classiques de la femme coréenne courante au XIXe siècle, a une aura que l’on prête plus couramment aux représentations féminines contemporaines.
Une incarnation des Coréennes d’aujourd’hui
Éduquée, cultivée, sagace, vaillante, curieuse, intègre et loyale, Li Chin porte un ensemble de caractères prêté au féminin très novateur, même pour notre époque. Ce parti pris est loin d’être neutre. La narration intimiste de l’auteure parle ainsi des Coréennes lettrées et mal reconnues venues en France depuis une trentaine d’années. En effet, la littérature coréenne en France repose essentiellement sur une armée de savantes littéraires dont le travail est encore méconnu et incompris jusqu’en Corée.
Li Chin devient, alors, une sorte d’incarnation de la littérature féministe intimement liée au destin du pays qui, sous un habit traditionnel ou un habit occidental, trop souvent les rejette. C’est aussi un magnifique moment de projection de l’auteure dans le coeur d’une reine bien trop souvent jugée par un monde masculin. Shin Kyung Sook apporte une vision romancée mais subtile pour parler de cette femme et de sa fin tragique qui emporta avec elle la Corée tout entière.
Li Chin est un roman aux natures multiples. Tantôt roman épistolaire, tantôt fiction historique, tantôt récit intime et tantôt journal diplomatique, le livre recèle une nature littéraire riche. À la manière des films coréens qui changent de registre avec l’habileté qu’on leur connaît, la plume de Shin Kyung Sook révèle l’inventivité de la littérature coréenne contemporaine. On en ressort nourri et cultivé avec l’envie plus grande encore que de mieux connaître cette époque passée.
Conclusion
Plein d’amour, d’espoir et de mélancolie, Li Chin est un excellent roman historique à lire pour vous immerger dans la diplomatie de la fin de Joseon. C’est un récit à la croisée de deux pays et qui décrit l’époque avec le double regard de l’étrangère et de la femme. Amoureuse tant de l’homme que de son pays, Li Chin vous entraînera à la découverte d’une Corée et d’une France ignorée. Derrière le récit fictionnel, vous pourrez aussi pénétrer dans le temps présent des Coréennes de France. Car les prises de position, les réflexions et les pouvoirs accordés à Li Chin sont ceux d’une Coréenne du vingtième siècle.
Où le trouver ?
LI CHIN de Shin Kyung Sook, trad. Jeong Eun Jin et Jacques Batilliot, Ed. Philippe Picquier, Picquier Poche, 2010, ISBN 978-2-8097-0355-9
Source : Korea Literature in translation
Article rédigé par Casado Hélène.
2 Comments
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Merci pour ton partage ! je cherchais justement un roman historique coréen à me mettre sous la dent après la lecture des « Romans meurtriers »de Kim Tak Hwan, et qui soient, bien entendu, traduit en français… Merci j’irais faire un tour en librairie 😉
Je te conseille aussi « Le Chant des Cordes » de Kim Hoon qui raconte l’invention du Gayageum sous le royaume de Silla. 😉