Page 1 : retour sur la commémoration
Page 2 : entretien avec Lee Oh Eun
Page 3 : entretien avec Paek So Yo
Page 4 : entretien avec Kang Seon
Page 5 : Lee Sung Ah et Joh Gyung Hee
Paek So Yo est une vidéaste sud-coréenne qui vit et travaille à Melbourne en Australie. Pour l’exposition « Commémoration du naufrage du ferry Sewol », Paek So Yo a présenté la vidéo « Mute Off » qui, par le mouvement abstrait du corps, illustre la relation entre la vérité, le silence et la tragédie. Son souhait est d’exprimer, à travers cette oeuvre, la volonté d’un au-delà dans lequel personne ne connaîtrait la souffrance. L’artiste a accepté de nous éclairer sur son approche dans l’entretien que vous pouvez découvrir ci-après.
Photographie de Mute Off – tous droits réservés à l’artiste
Q : Pourriez-vous vous présenter, vous et votre travail, s’il vous plaît ?
R : Je suis une artiste coréenne. Je suis née en Corée et je réside à Melbourne, en Australie. Pendant longtemps, je n’ai pas fait d’art. En effet, lorsque j’ai été diplômée de l’université, j’ai travaillé pendant dix ans dans une entreprise. Je ne me suis remise à l’art qu’il y a trois ans. Et puis, le naufrage du Sewol a eu lieu. Cet événement était un choc pour moi. Auparavant, mon travail était plus émotionnel, orienté vers mon propre rétablissement, ce genre de travail. Mais après le naufrage, je me suis plus intéressée au travail social et aux problématiques politiques. En effet, le naufrage du Sewol m’a montré que lorsque l’on n’a pas de pouvoir, on ne peut pas survivre, la vie est difficile et l’on n’obtient rien. Par ailleurs, c’est arrivé aux autres mais cela ne touche pas que les autres car cela pourrait aussi m’arriver à moi.
Q : Cela vous a fait prendre conscience de ce qui pourrait arriver ?
R : Oui. Aussi, après ce jour-là, j’ai recommencé à faire quelques œuvres artistiques. J’ai rencontré une dame, en particulier, qui est chorégraphe et danseuse. Nous avons discuté du naufrage du Sewol, de l’art qui marque, qui laisse une impression. Après y avoir réfléchi, nous nous sommes rendues compte qu’auparavant, nous ne parlions pas du tout du monde politique et des problèmes sociaux qui pourraient aisément nous toucher. Alors nous avons pensé que nous devions commencer à nous exprimer au sujet de ce qu’il s’était passé et de ce dont nous avions besoin. Nous avons ainsi créé « Mute Off ». Après ça, j’ai commencé à m’impliquer dans d’autres activités.
Q : Avez-vous travaillé avec quelqu’un d’autre ? Une personne coréenne ? La chorégraphe ?
R : Oui, j’ai travaillé avec elle pendant un an. Nous avons travaillé sur le naufrage du Sewol mais également sur beaucoup d’autres projets.
Extrait de la vidéo Mute Off – tous droits réservés à l’artiste
Q : Est-ce difficile d’exposer ce genre d’œuvre, à propos du Sewol, en Corée ?
R : En réalité, ce n’est pas si difficile mais nous parlons d’enjeux politiques et sociaux. En fait, la démocratie coréenne est un peu différente d’ici. Nous commençons à comprendre comment nous défendre et comment dévoiler ce qui ne va pas dans notre démocratie. Nous avons également réalisé ce genre d’exposition à Berlin.
Q : Pourquoi avez-vous choisi d’exposer en France ?
R : Je pense que la France, avec la Révolution et son peuple, vous savez… Je ne sais pas comment fonctionnent les français et si c’est commun, mais pour nous, particulièrement après le naufrage du Sewol, il y a une révolution qui a démarré avec le peuple qui commence à s’éveiller. Ils ont trouvé une autre signification à la révolution et je trouve cela assez intéressant.
Q : Était-il plus facile d’exprimer ce que vous ressentiez après Sewol dans votre art ou en discutant autour de vous ? Parce qu’en France, nous n’avons pas eu le même sentiment et la même vision que les Coréens sur cet événement. Ce fut votre tragédie. Était-il donc plus facile de nous transmettre les messages et émotions que les Coréens ont ressentis à travers l’art qu’en nous l’expliquant ?
Donc votre question est : comment j’exprime ce sentiment aux Français ? En fait, je ne m’attendais pas à pouvoir montrer ça aux Français. D’habitude, lorsque je réalise cette exposition à Melbourne, le public n’est presque composé que de coréens. Mais pas quand je suis venue ici. Donc je dois penser à comment c’est vu par les Français.
Je ne sais pas si c’est bon ou mauvais mais c’est après le naufrage du Sewol, nous, Coréens, avons commencé à prendre conscience que nous devions agir, qu’il fallait du mouvement. Mais sans violence. C’est vraiment ce qui importe. Toutefois, des gens disent qu’un mouvement sans violence n’a pas de sens pour eux. Parce qu’on doit montrer notre pouvoir avec notre colère. Je comprends cela, mais parfois, si on peut obtenir des résultats sans user de violence, pourquoi ne pas le faire ?
Extrait de la vidéo Mute Off – tous droits réservés à l’artiste
Q : Vos œuvres portent, en fait, un grand message de paix, est-ce bien cela ?
R : En fait, c’était pour parler. Je l’ai fait il y a deux ans et j’avais juste besoin d’extérioriser. En réalité, je me suis rendu compte que j’avais déjà parlé. Et désormais j’ai besoin de l’étape suivante. Dans cette étape, je peux continuer de parler mais je dois aussi comprendre quelles sont les choses réelles. Je dois, comme vous le savez, me rapporter à d’autres gens, me rapprocher de ceux qui font de la politique, ce genre de choses. Alors, je ne sais pas, après un moment, nous pourrons faire plus de choses comme des mouvements pacifiques. Ensuite, nous avons besoin d’être plus actifs. Je veux juste aider les mineurs, ils doivent se soucier des autres personnes faibles dans la société. C’est juste ce que je souhaite.
Q : Nous sommes françaises, et en France nous ne parlons plus du Sewol et je trouve vraiment significatif que les Coréens viennent ici, à Paris, pour nous le montrer et nous expliquer pourquoi c’est important. C’est une tragédie pour la Corée et pour nous c’est juste un accident. Ce fut une tragédie mais ça a toujours un sens pour les Coréens et c’est toujours un événement fort. Nous avions besoin de le voir !
J’ai toujours entendu dire qu’il y avait eu beaucoup de choses en Europe, en France, à Londres il y a longtemps. De nos jours, je sais qu’il est plus aisé pour les gens d’oublier ces événements, mais si vous pouvez trouver ce genre d’histoires, alors vous aurez un meilleur système. Nous faisons juste cela par nous-même en ce moment. Donc parfois c’est très difficile mais nous continuons d’apprendre énormément de choses de cette histoire. Les influences sont vraiment bonnes.
Je crois que nous avons fini. Merci !
Retrouvez le site de Paek So Yo : http://blog.naver.com/soyo101101
Transcription de l’entretien en anglais par Kaoru et Littleangele
Traduction vers le français par Littleangele et Minido
Page rédigée par Minido