Page 1 : retour sur la commémoration
Page 2 : entretien avec Lee Oh Eun
Page 3 : entretien avec Paek So Yo
Page 4 : entretien avec Kang Seon
Page 5 : Lee Sung Ah et Joh Gyung Hee
Seon Kang Wolter est née à Séoul en Corée du Sud. Elle a étudié à St Martin’s à Londres et a aussi obtenu un master en psychothérapie d’art dans l’école d’art Lasalle de Singapour. En dehors de sa pratique artistique, elle a travaillé dans le Branding et participe à plusieurs associations d’art thérapeutique comme l’ANZATA et l’ATAS. Ses œuvres sont fortement influencées par les pensées de Freud, Jung, Bowlby, Winnicott et Erikson. Pour l’exposition de commémoration du naufrage du ferry Sewol, Seon Kang a réalisé l’œuvre « Shirubean » par laquelle elle relie ses souvenirs d’enfance à la tragédie du naufrage. Elle nous a expliqué son œuvre dans cette interview.
Est-ce que vous pouvez commencer par vous présenter?
Tout d’abord, je suis Kang Seo Wolter. Je suis artiste plasticienne et art-thérapeute. Tout mon travail tourne autour d’analyses. J’analyse ma vie et je l’exprime à travers l’art. « Shirubean » est l’œuvre que j’expose ici. Il y en a deux. Elles parlent de la mémoire émotionnelle. Je les ai réalisées en 2013, lorsque je réfléchissais à mon expérience d’art-thérapeute. Il me semble que pour laisser aller ses émotions, le plus important est, justement, l’émotion. Nous pouvons nous guérir grâce à elle. En gros, lorsque je l’ai compris, c’est devenu le concept de mon travail artistique.
Pouvez-vous nous expliquer la signification de votre œuvre ?
Ah ! C’est une longue histoire. Lorsque j’analyse ma vie, en particulier mon enfance – en tant qu’art-thérapeute nous avons besoin d’analyser notre vie personnelle – j’ai oublié certains de mes souvenirs d’enfance. Pas tous, mais certains. Vous savez que nous nous souvenons que des bons souvenirs. Mais les mauvais sont comme cachés quelque part. C’est un travail expérimental mais j’ai aussi travaillé sur d’autres formes d’art, pas seulement celui-ci. Soudainement, il surgit, vous savez, c’est comme une sorte de possession.
C’était une expérience douloureuse. J’avais six ans… C’était la vieille Corée. À cette époque, la Corée du Sud n’était pas aussi riche qu’aujourd’hui. Les gens étaient plutôt pauvres. Dans les familles coréennes, les parents devaient travailler dur. Parfois, c’était les grand-mères qui veillaient sur les enfants. Ma grand-mère m’a beaucoup gardée. Et elle occupait un place importante dans mon cœur, plus que mes parents. Et j’ai dû retourner avec eux. J’ai dû aller à l’école. Ma grand-mère me manquait terriblement. Je suppose que c’était trop dur à gérer. Je n’ai donc plus parlé pendant très longtemps, quelque chose comme six mois, peut-être huit. Je ne me souviens pas exactement, mais ce fut long.
À ce moment là, ma mère – parce que j’avais ce sentiment lourd de cette grand-mère absente que je ne pouvais voir parce qu’elle était trop loin – est venue me voir succinctement et ce n’était pas assez donc je me suis accrochée à elle. C’était ce genre de sentiment. Je devenais complètement folle. Cela me rendait profondément triste alors, un jour, ma mère m’a apportée un petit pot traditionnel (shirou 시루) – ceux qu’on utilise pour cuire les gâteaux de riz ou faire pousser les pousses de haricot jaune. C’était mon tout premier. Il était vraiment moche. J’étais une petite fille de six ans, et à cet âge, vous savez, on aime le rose, les couleurs joyeuses plutôt que les couleurs grises ou noires de ce pot qui était dans un coin de ma chambre. Je me sentais si triste, tellement triste que je me suis recouverte de ma couverture. Je n’avais aucune idée. Sur la côte est, nous devions couvrir la lumière et je regardais cette brillante lumière.
Je me souviens m’être réveillée. C’était l’hiver, il faisait très froid. Et j’ai vu la lumière descendre. C’était quelque chose de magique et de tellement chaud. Et tout mon environnement a changé. C’était comme un soleil levant. J’ai ressenti ce rayon et je ne savais pas ce que c’était pour que ça se rapproche à ce point de ce pot. La première chose que j’ai fait c’est de fermer le pot et de demander à ma mère ce que c’était. Cela faisait longtemps que je n’avais pas posé de questions. J’étais comme muette à cause de ma trop grande peine et de ma trop grande tristesse. Mon corps s’était fermé automatiquement. Les enfants en particulier connaissent cela. La voix était enrayé et faisait des « hhuu hhuu hhuu ». Je me souviens parfaitement de ce que c’était. J’ai parlé à ma mère. Et ma mère m’a regardé et a dit : « Elle parle ! ». C’est un souvenir froid. Il y a un paradis quelque part et je ne me souviens pas en détail de ce souvenir froid. Mais à travers mon expérience d’art-thérapeute, j’ai pu approcher ces souvenirs.
Plus tard, ma mère a contracté un cancer et a dû rentrer en Corée. Aussi, elle a dû laisser derrière elle ses affaires et son travail. C’était tellement douloureux de voir ma mère souffrir en faisant de la chimiothérapie. Je voulais faire quelque chose car elle souffrait et pouvait mourir. C’était assez déprimant, si douloureux. Je suis allée à l’atelier pour faire quelque chose. Je voulais exprimer ce que je ressentais avec de l’argile, après j’ai fait un pot. Ce n’était pas intentionnel, c’était comme si mon corps n’arrêtait pas de bouger pour le faire. Je ne savais pas pourquoi.
Une amie, plus jeune que moi, est venue à l’atelier et m’a dit « Allez ! » et a pris une photo du four. Elle a ouvert légèrement le four et a dit que c’était bon. Je suis revenue à l’atelier, le pot avait déjà refroidi et il était posé sur la table. Quand j’ai vu ce pot en entrant, mes souvenirs sont revenus et j’ai pleuré. À ce moment-là, j’étais vraiment sensible.
C’était en 1970. Beaucoup de familles avaient ces pots car on mettait de la nourriture dedans. Ce n’était pas un objet spécial mais pour un enfant, la couleur jaune m’avait marquée. C’était si mystérieux pour moi. Et tous ces ressentis sont revenus quand j’ai fait ce pot. J’ai réalisé plus tard que ça avait toujours été connecté. Je n’y avais pas pensé, c’était dans l’inconscient, dans le subconscient pendant tout ce temps. C’est pour ça qu’on ne connaît pas certaines choses sur nous-même. Ce fût une expérience douloureuse. Tu dois revenir sur ton enfance, lorsque tu avais 6 ans et te rappeler de toutes ces différentes peines.
Après, j’ai emmené le pot à ma mère, pour lui offrir et elle m’a dit « on dirait le pot de haricots jaunes ». À la même période, je faisais des recherches sur les couleurs. Étant art thérapeute, je donnais beaucoup de conférences et de talkshows.
J’étais vraiment curieuse. Même si nous sommes issus de contextes différents, que l’on soit français, anglais ou chinois, nous exprimons nos émotions au travers des couleurs. On utilise le noir, les couleurs sombres, le bleu. Je les ai combiné ensemble et j’ai créé ma propre représentation de la mémoire émotionnelle. Je peux vous l’expliquer ainsi. Même si vous subissez une expérience profondément triste, il y a un très petit, tout petit espoir à l’intérieur. Vous ne pouvez peut-être pas le voir mais je pense que tout le monde peut trouver le bonheur intérieur. C’est ma philosophie et c’est tout mon travail.
Œuvre Shirubean de Seon Kang – tous droits réservés à l’artiste
J’ai connu une autre expérience en 2014. J’étais en Corée, dans une foire d’art de Busan. J’ai regardé les informations et j’ai vu que le ferry coulait petit à petit sans que personne ne fasse rien. J’ai ressenti comme une torture émotionnelle. On regarde juste. Tant de gens sont en train de mourir. Et j’ai pensé : « Ils vont les sauver. Ce n’est pas très grave, nous sommes en Corée et il y a tout ce qu’il faut. » Mais ils ne l’ont pas fait. Je ne pouvais pas comprendre. J’en ai perdu mes mots. Je ne pouvais l’expliquer. Je me sentais coupable. Je suis certaine que toute la Corée regardait les informations. C’était tous les jours. Comme j’ai deux enfants, je ne pouvais le concevoir… Il y avait comme un surplus de colère au fond de moi.
Je vis désormais à Paris. Je ne pouvais rien faire en Corée car je ne suis plus vraiment coréenne. Je suis partie quand j’avais vingt ans. Je me suis imprégnée de beaucoup de cultures alors quand je rentrais en Corée, on me regardait comme une étrangère. Je n’ai plus de culture coréenne désormais. Je suis partie dans les années 1990. J’avais constamment ce triste sentiment de colère en moi. Si douloureux que j’avais envie de fuir. C’était très dur. Alors on le cache, on l’ignore. On essaye d’accepter ce surplus de peine. Et on essaye de trouver un moyen d’aider ces personnes. Je suis vraiment reconnaissante de pouvoir être ici et de participer même à ce très petit effort. C’est très fort et significatif.
Vous répandez donc ce message pour trouver l’espoir.
Nous voulons choisir. Désormais, nous ne voulons plus être en colère. On peut trouver un tas de théories mais c’est épuisant. Il peut y avoir des histoires fausses. Nous sommes juste épuisés par ces erreurs, ces fausses informations. Ça pourrait être ceci, ça pourrait être cela. Nous voulons juste la vérité. Nous n’allons plus être en colère. Et nous allons trouver la vérité. À ce moment-là, je pense que tout le monde pourra pardonner et promettre de ne plus jamais vivre cela de nouveau. Vous savez, c’est très important.
Ce que la vérité apporte…
Nous avons tous besoin de cela. Tout le monde peut s’unir et nous avons réellement besoin de cela. Mais nous en avons vraiment besoin pour continuer de nous battre. Je suis tellement contente que les artistes coréens essaient de faire de petites choses. Mêmes les plus petites seront, un jour, un grand pouvoir. Et regardez la France tous les jours plus positivement. Je n’avais jamais regardé les photographies mais mon mari m’a expliqué la manière d’être ici. Ça semble plus positif. Je suis reconnaissante et très heureuse à ce sujet. Quoi qu’il en soit…
Transcription de l’entretien en anglais par Koyangi et Minido
Traduction vers le français par Minido
Page rédigée par Minido