Hong Jong U (홍종우|洪 鍾宇) fut l’un des premiers Coréens à venir en France à la fin du XIXe siècle. Son voyage, à l’origine motivé par la valorisation politique de la Corée auprès des officiels français, finit par se concentrer sur la valorisation des arts et des lettres coréens. Il contribua à l’intégration de la collection coréenne de Charles Varat au sein du Musée d’Arts Asiatiques Guimet et fut le premier à traduire en français la littérature coréenne. De retour en Corée, il fut mandaté par le roi pour assassiner un opposant politique. Assassin ou espion, Hong Jong U est ce genre de personnage que l’histoire immortalise en héros romanesque.
Biographie
Hong Jong U (홍종우|洪 鍾宇) naquit en 1850 à Ansan. Bien qu’appartenant au clan des Hong de Namyang, ses ancêtres directs n’avaient occupés aucun poste important depuis cinq générations. Élevé dans la modestie que lui imposait sa condition, Hong Jong-U eu pourtant une éducation confucianiste. Enfant, il est dit qu’il se piqua d’intérêt pour la divination. Son père ne pouvant souffrir qu’un descendant de yangban agisse de la sorte le sermona fortement. [1] On sait peu d’autres choses de son passé, hormis qu’il grandit sur l’île de Gogeum-do dans le Jeolla. Hong Jong U se maria dans les années 1880 et eut une fille.
Le 4 juin 1886, lorsque l’affaire de l’expédition française en Corée fut en partie résolue par la signature du traité d’amitié et de commerce entre la France et la Corée, Hong Jong U y assista en tant que secrétaire. À l’époque, il était très proche du mouvement politique libéral. Ses idées reposaient sur l’ouverture du royaume vers le reste du monde et sur l’indépendance de celui-ci vis-à-vis des puissances limitrophes telles que la Chine, la Russie et le Japon.
Ne portant pas en haute estime la Grande-Bretagne pour ses inclinaisons géopolitiques avec la Chine, il se tourna vers la France qu’il tenta de rejoindre entre 1888 et 1890. Il se rendit d’abord au Japon afin d’y obtenir un passeport qui lui permettrait d’atteindre ensuite la France. Il y travailla deux ans au sein du magazine Asahi Newspaper. En 1887, il reçut son passeport ainsi qu’une lettre d’introduction d’Itagaki Taisuke, leader du parti libéral japonais, à l’attention de Georges Clemenceau, alors député.
En France : de la diplomatie à l’échange culturel
Hong Jong U atteint les côtes de la ville phocéenne aux alentours du 24 décembre 1890. Il fut logé grâce au réseau chrétien d’Asie et rencontra Felix Regamey [2] qui laissa la majorité des détails du séjour du Coréen en France. Hong Jong U connut beaucoup de difficultés pour rencontrer des officiels français. À l’époque, la France portait un regard indifférent au pays du matin frais. Après plusieurs rencontres infructueuses et humiliantes, le premier Coréen en France se concentra sur une autre activité : la diffusion de la culture coréenne en France.
L’année 1888, l’anthropologue et explorateur Charles Varat revenait d’un périple en Corée. Le jeune musée Guimet, qui avait ouvert ses portes quelques mois plus tôt, accueillit les précieux objets récoltés. À l’arrivée de Hong Jong U en France, il fut naturellement sollicité pour aider à l’organisation des collections coréennes du musée.[3]
Il publia Printemps parfumé, une traduction du pansori Histoire de la fidèle Chunyang en 1892. [4] Cet ouvrage fut d’ailleurs le premier roman d’Asie de l’Est traduit en langue occidentale. [5] En 1895, les éditions Ernest Leroux publient Le Bois sec refleuri, un autre roman traduit par Hong Jong U. Puis, en 1897, un livre coréen de divination est publié dans les Annales du Musée Guimet. Il s’intitule Guide pour rendre propice l’étoile qui garde chaque homme et pour connaître les destinées de l’année.
L’assassinat de Kim Ok Gyun
Cependant, lors de la publication de ces deux derniers ouvrages, Hong Jong U était déjà de retour en Corée. En effet, il quitta la France en 1893 pour rejoindre une Asie de l’Est en plein trouble politique. Arrivé au Japon, il apprit la mort de son épouse un an auparavant. C’est aussi à ce moment qu’il reçut l’ordre du clan royal Yi : éliminer les fomentateurs du coup d’État de Gapsin (갑신정변). Il se rendit donc à Shanghai où il approcha Kim Ok Gyun [6] avant de l’assassiner le 28 mars 1894. Il est dit qu’il se vêtit d’un hanbok avant de tirer trois coups de feu qui achevèrent sa victime.
Rattrapé par la police chinoise, il justifia son acte en trois arguments. Pour lui, Kim Ok Gyun avait provoqué la mort de beaucoup d’innocents en provoquant le coup d’État de Gapsin. Il devait aussi obéir à l’édit royal qui lui commandait de le tuer. Enfin, Kim Ok Gyun était un traître et une menace pour la paix de la région. Le gouvernement chinois décida de renvoyer les deux Coréens dans leur pays natal. Arrivé à la capitale, le cadavre fut découpé en huit morceaux dispersés dans les huit provinces afin de dissuader tout vœu de rébellion. Hong Jong U reçut dans un premier temps les honneurs. Il fut nommé officiellement au gouvernement.
Mais c’était sans compter sur les troubles à venir. En 1894, la guerre sino-japonaise éclata. La défaite de l’Empire du Milieu et l’assassinat de la reine Myeongseong marquèrent le début de la colonisation japonaise. La carrière de Hong Jong U évolua considérablement entre 1898 et 1902. Il se remaria et eut trois enfants entre 1897 et 1903. Jusqu’en 1903, il gravit les échelons. Mais sa roue de fortune dégringola en même temps que l’influence japonaise grimpait. Exilé tour à tour à Jeju-do puis à Mokpo, il mourut finalement en 1913 de faim selon certaines sources.
Hong Jong U de nos jours
De nos jours, Hong Jong U reste relativement méconnu aussi bien en France qu’en Corée. Quelques pièces de théâtre et documentaires retracent sa vie, mais sa popularité reste discrète. Sans doute que les dessous de l’affaire politique de l’assassinat de Kim Ok Gyun restent encore vivaces. Car si beaucoup dépeignent l’assassin en héros vengeur, d’autres le perçoivent aussi comme un opportuniste qui tentait d’apporter les honneurs à son clan. La manière dont il gravit les échelons aux premières heures de l’empire laisse en effet planer le doute. Il n’en demeure pas moins une figure importante des échanges franco-coréens. Car sans lui, il est fort à parier que la France aurait attendu encore plusieurs décennies avant de lire les premiers romans coréens et visiter les premières collections coréennes.
Pour aller plus loin : un documentaire de KBS (en coréen)
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Sources : [1] Hompi Sogang : Hong Jongu’s Life | [2]Hompi Sogang : Felix Regamey | [3] Paris Consortium, Études coréennes : Charles Varat et la collection coréenne du musée Guimet |[4]Printemps Parfumé | [5]Études coréennes en France : les origines, le passé et le présent LI Jin-Mieung | [6] 한국사 傳 | [7] Encyclopedia of korean culture |
Article rédigé par Casado Hélène.