« Toujours regarder vers la côte quand tu remontes à la surface, sinon tu peux te perdre (…) Cherche ta soeur après chaque plongée. N’oublie jamais. Si tu la vois, tu es en sécurité. »
À propos de l’auteure
Mary Lynn Bracht est une auteure américaine vivant à Londres depuis une dizaine d’années. Sa mère coréenne rencontre son père, soldat américain, dans les années 1970 avant de s’installer avec lui dans le Texas où l’auteure grandit au milieu d’une communauté de femmes sud-coréennes. D’abord encline à s’engager dans l’armée, Mary Lynn Bracht se consacre finalement à l’écriture. En 2002, alors qu’elle visite le village natal de sa mère, elle découvre l’histoire jusqu’alors cachée des femmes de réconfort. Elle écrit ainsi son premier roman White Chrysanthemum qui sera publié en 2018. Vous le lirez en France sous le titre Filles de la Mer.
Travaillant sur la mémoire comme un objet vital pour permettre aux souvenirs des défunts de perdurer, Mary Lynn Bracht évoque son ouvrage comme un outil de transmission des souffrances des femmes et victimes de la guerre. Elle clôt son préambule en évoquant le Congo, la Corée du Sud et en rappelant que les atrocités commises par l’armée japonaise continuent d’être pratiquées aux quatre coins du monde.
Résumé
Filles de la Mer raconte l’histoire de deux soeurs que la guerre sépare. Hana est élevée sur l’île de Jeju au sein des pêcheuses haenyo. Elle grandit avec sa jeune soeur Emiko qu’elle apprend très vite à protéger des dangers. Mais l’été 1943 arrive impromptu, sous les bottes militaires des soldats japonais, alors qu’aucun adulte ne peut intervenir. Hana est enlevée. Emiko survit et grandit durant les années troubles de 1948, de la guerre de Corée et du demi-siècle qui suit. Âgée, la vieille femme ne pense qu’à retrouver sa soeur disparue à l’été de ses 16 ans.
L’avis de Minido sur Filles de la Mer
L’histoire des femmes de réconfort est un thème politique vif en Corée du Sud où le travail de mémoire s’est accru au tournant du nouveau millénaire avec la démocratisation du pays. Si les ouvrages cinématographiques et littéraires leurs accordent toujours plus d’importance, le récit que nous offre Mary Lynn Bracht porte un regard puissant sur le vécu des femmes qui y ont survécu. Au travers de la fiction historique qu’est Filles de la Mer, l’auteure s’attache à révéler une posture des victimes comme l’incarnation de réelles héroïnes. La décision d’Hana de sauver sa soeur, puis d’autres filles et d’agir avec dignité jusque dans le plus terrible des avilissements auxquels la guerre les contraint est une façon de redonner de la grandeur à celles qu’on associerait à la fragilité et à la brisure. La grandeur qui résulte de cette figure littéraire n’a rien à envier à Chunhyang qui pareillement face à l’arbitraire d’une société ne renonce pas à sa droiture.
Emiko, plus jeune, est frappée des mêmes tourments tragiques aux atrocités de l’hiver 1948. On suit le regard que la vieille femme porte sur son histoire et c’est l’incarnation des grands-mères coréennes qui prend forme à ses chapitres. Car Emiko n’a pas l’héroïsme presque mythique de la soeur disparue. Elle est comme les ancêtres de notre présent, épuisée par la dureté d’une vie de laquelle ils n’ont pu disparaître. Le han qui se dégage de son récit est celui de la génération après-guerre.
Ainsi l’auteure parvient, avec finesse, à donner la parole aux survivantes de l’esclavage sexuel organisé et légitimé par l’armée japonaise d’alors et la parole aux témoins impuissants et honteux qui ont réchappé aux tourments de ce siècle. En ce sens, Filles de la Mer est un superbe ouvrage. L’écriture de Mary Lynn Bracht est si bien rythmée qu’elle m’a poussée à la nuit blanche – chose qui n’était pas arrivée depuis des lustres. Le récit partagé entre les deux soeurs nous fait faire des bonds dans les époques et les rebondissements ne nous incitent, d’ailleurs, qu’à tourner la page vers chaque nouveau chapitre. C’est un roman juste, bien écrit et profondément humaniste. L’aventure d’Hana à travers la Corée, la Mandchourie puis la Mongolie fait aussi partie des livres initiatiques à cette nuance près qu’Hana n’a pas la naïveté de Candide et si elle ne choisit pas d’être arrachée à sa terre natale, comme beaucoup de réfugiés à travers le monde, elle choisit le lieu de son enracinement.
Conclusion
Filles de la Mer est une merveilleuse fresque porteuse d’histoire et de courage. Les deux héroïnes racontent l’âme coréenne sacrifiée au vingtième siècle mais surtout la vaillance de ces survivantes qui ont bravé les troubles du dernier siècle. C’est un roman saisissant et bien écrit qui est comme un témoignage fictionnel de celles qui n’ont pas pu raconter ! À lire absolument.
Où le trouver ?
Filles de la Mer de Mary Lynn Bracht, trad. , Ed. Robert Laffont, 01/02/2018, ISBN 2221197275
Sources : Biographie | Site de l’auteure
Article rédigé par Casado Hélène.