Le mois dernier, on vous présentait le genre littéraire « webtoon », cette bande dessinée numérique venue de Corée. Vous y découvriez son format vertical, ses caractéristiques de publication ou encore les plateformes les diffusant en français. Et oui, le phénomène webtoon séduit déjà jusqu’en France !
1 050 milliards de wons, c’est le nombre symbolique des revenus engendrés par l’industrie du webtoon sur le territoire coréen en 2020. C’est la première fois que la barre des 1 000 milliards de wons est atteinte depuis que le ministère de la Culture coréen relève les chiffres en 2017. Ce montant de ventes est possible grâce à un travail de pointe en coulisses. Découvrez en plus sur la face cachée de l’industrie du webtoon…
L’industrie du webtoon, où en est-on en 2022 ?
En 2020, l’Agence coréenne des contenus créatifs (Korea Creative Content Agency – KOCCA) a publié un rapport sur la perception et les pratiques des Coréens en termes de bande dessinée. Sur les 1,16 million de Coréens âgés de 10 à 59 ans répondants, plus des deux tiers ont affirmé n’avoir lu des bandes dessinées que sur des supports numériques au cours de l’année passée :

Chaque année, environ 2 700 nouvelles séries voient le jour en Corée. Par ailleurs, la KOCCA dénombrait en 2020 pas moins de 7 407 auteurs de webtoons. Pour la première fois cette même année, le marché du webtoon a dépassé 1 050 milliards de wons, soit approximativement 760 millions d’euros. La KOCCA observe d’ailleurs une hausse des revenus de ce marché de 64,6 % par rapport à 2019, preuve qu’il ne cesse de grossir de manière exponentielle.
Comment donc le webtoon est arrivé, en deux décennies, à conquérir les écrans et se faire une place mondiale sur le marché de la bande dessinée ?
La naissance du webtoon : prémisses et évolutions
Petit retour en arrière ! L’histoire du webtoon débute parallèlement à la prise en main d’internet par le grand public, dès le milieu des années 1990. Depuis lors, son évolution est étroitement liée aux améliorations technologiques successives du web. On dénombre quatre générations dans la mise en forme des webtoons. À la base constitué de scans de manhwa papier (bande dessinée coréenne) mis en ligne dans les années 1990, le webtoon commence à devenir nativement numérique, c’est-à-dire créé spécialement pour le web, au début des années 2000. C’est d’ailleurs à ce moment-là que le terme « webtoon » apparaît. Progressivement, son format s’adapte à l’écran des tablettes et des smartphones pour prendre la forme verticale qu’on lui connaît aujourd’hui. Aux sites internet où il est traditionnellement diffusé s’ajoutent des applications mobiles spécialisées. Il peut maintenant être agrémenté de contenu interactif comme des animations ou encore de la musique.
Les plateformes de publication de webtoons
Les leaders du marché du webcomic coréen
Les premières plateformes spécialisées dans la publication de webtoons ouvrent dès le début des années 2000. Le portail informatique Daum se lance en 2003 sous le nom de Daum Webtoon et le moteur de recherche coréen Naver en 2004 sous le nom de WEBTOON. Pendant une décennie, ces deux plateformes restent les leaders de la publication de webtoons en coréen. En 2019, elles représentaient à elles seules environ 167,24 milliards de wons de chiffre d’affaires, soit approximativement 122 millions d’euros. Dans le milieu des années 2010, d’autres applications en provenance de compagnies plus modestes émergent. C’est par exemple de cas de Lezhin Comics en 2013 et de Toomics en 2015. Par ailleurs, la plateforme Daum Webtoon est rachetée en août 2021 par le groupe Kakao et fusionne avec Kakao Page, le service de lecture de ce dernier. La nouvelle plateforme, lancée le 1er août 2021, prend le nom de Kakao Webtoon.




Le système financier du marché du webtoon
Ces portails sont financés par au moins deux types de revenus connus : les publicités et les achats des lecteurs. La majorité des plateformes reposent sur un système de paiement au chapitre, qu’il faut débloquer avec des crédits, au moyen de quelques dizaines de centimes l’épisode. Ces épisodes achetés sont ensuite disponibles pour relecture dans l’espace personnel des utilisateurs. Certains contenus sont accessibles gratuitement grâce à la présence de publicités ou au système « un épisode gratuit par jour » (« wait for free »). Il faudra prendre son mal en patience… ou acheter un « fast pass » (crédit pour débloquer le contenu en avant-première) !
Le travail des auteurs de webtoon
Économiquement parlant, les objectifs des plateformes, qui sont des entreprises ayant pour but de faire du profit, rappelons-le, sont de générer plus de trafic et donc, plus de ventes. Il en va de pair avec un rythme effréné des publications pour augmenter le nombre d’achats et de vues.
Les conséquences de ce système impactent directement les conditions de travail des auteurs, dont la charge de travail en un temps limité est colossale. Selon Lee Hee Yun, chef d’IP Business chez Naver Webtoon, « un créateur de webtoon travaille en moyenne 10 h 30 heures par jour, six jours par semaine ». Selon la KOCCA, leur revenu annuel moyen est de 56,68 millions de wons en 2021, soit environ 41 000 euros. En Corée, 83,9 % d’entre eux ont entre 20 et 30 ans ; deux tiers sont des femmes et un tiers des hommes.
Ces auteurs abordent souvent à eux seuls, ou avec quelques assistants, plusieurs casquettes de l’édition classique : scénario, dessins, retouches, couleurs, création des arrière-plans, écriture des dialogues… Les dates de publication hebdomadaires obligent les créateurs à un rythme de travail souvenu. Un épisode moyen (en dehors des genres Comédie et Tranche de vie) contient entre 30 et 60 planches à produire dans la semaine. Ce nombre peut monter jusqu’à 120 planches par épisode pour les plus grosses productions, quand une équipe conséquente et composée de plusieurs corps de métiers entoure l’auteur. D’autre part, les créateurs n’obtiennent également que peu de pauses et de vacances lorsqu’une de leur œuvre est en cours de publication.
Toutefois, ils n’oublient pas de montrer de manière humoristique les coulisses de l’univers des webtoons en mettant en scène des personnages eux aussi créateurs de webcomics ou en se dessinant eux-mêmes lors d’épisodes making-of :
Ces représentations les montrent au bout du rouleau, souvent épuisés par ce rythme et contraints de se plier aux demandes des éditeurs pour produire toujours plus vite ce qui plaira au plus grand nombre.
Le webtoon, un genre littéraire qui a tout pour séduire… et faire des parts de marché
Les webtoons séduisent par leur ergonomie et leur praticité de lecture : disponibles partout sur les téléphones, lecture par défilement, discrétion, couleur et animations, achat à l’épisode pour quelques dizaines de centimes… Ils sont particulièrement adaptés au mode de vie des adolescents et des jeunes adultes ; les 15 à 19 ans représentaient d’ailleurs 73,8 % du lectorat coréen en 2019.
Le webtoon continue d’évoluer au gré des nouvelles technologies. Son modèle économique lui permet d’être relativement accessible auprès des jeunes et les publications hebdomadaires fidélisent particulièrement les lecteurs. Petit engrenage dans le monde de la hallyu il y a 10 ans, il contribue de nos jours de manière exponentielle à cette énorme industrie. Le webtoon a de beaux jours devant lui !
Si vous ne saisissez pas encore tout à fait à quoi ressemble un webtoon (re)découvrez notre article présentant ces webcomics coréens. On vous donne rendez-vous sur K.OWLS le mois prochain pour le troisième et ultime volet qui portera sur l’émergence du webtoon dans la société actuelle en Corée et à l’international.
Sources : Yonhap (1).(2) | Rapport KOCCA 2020 | Korea JoongAng Daily | Statistia | Lezhin | Webtoon creators | Reuters | Centre culturel coréen
Sources images : Rapport KOCCA 2020 | Kakao webtoon | Lezhin comics | Toomics | Naver webtoon | The Baker at the first floor | L’amour est une illusion