« Suk’i m’a demandé : Et puis, à quoi avez-vous pensé. J’ai répondu : Rien. C’est quoi rien ? C’est du français. C’est le seul mot que je connaisse en français. C’est pas mal le mot rien n’est-ce pas ? » – Kim Sung Ok, La Surproductivité
À propos de l’auteur
Kim Sung Ok (김승옥|金承鈺) est un auteur sud-coréen né au Japon en 1941. En 1945, ses parents retournent en Corée et s’installent dans la ville de Suncheon. Kim Sung Ok intègre l’université de Séoul où il étudie le français. À 19 ans, il rédige sa première nouvelle Exercice de vie puis crée le journal étudiant L’âge de la prose. Son style très introspectif dépeint une Corée monotone et triste à contre courant du miracle économique en cours lors de la rédaction de ces écrits. Ce regard à la fois tendre, amer et gai que présente Kim Sung Ok a fait dire de lui qu’il était l’un des plus brillants auteurs de la nouvelle vague coréenne des années 1960. En effet, dès ses débuts, ses romans et nouvelles sont accueillis avec succès. En 1965, alors qu’il est âgé de 24 ans, sa nouvelle Seoul hiver 1964 reçoit le prix Dong-in. À partir de 1967, son activité littéraire décroit. Il clôture finalement sa carrière d’écrivain en 1979.
Résumé
Le narrateur, un jeune journaliste, est amoureux de l’ange Suk’i qu’il héberge dans la pension où il habite. Sa vie oscillant entre sa troupe d’amis, ses heures de travail et cette obsédante passion pour son hôte se dévoile au gré des pages entre aventures inattendues, disparition importune et regard désillusionné.
Mon avis sur La Surproductivité
La Surproductivité est un roman surprenant. Il révèle la vie de la Corée du Sud d’avant la démocratie. L’homme, dont on ignore le nom, pose un regard distant et lucide sur son propre quotidien. Mais il ne peut échapper à l’apprentissage de sa jeune vie que ce soit pour ce qui concerne l’amour ou le travail. L’idéalisme qui le tient se heurte bien vite aux réalités désenchantées du quotidien. Une excursion estivale avec des amis devient une chasse au cochon au milieu des rizières. Un rêve de séduction se transforme en terrible désillusion sentimentale. Une mission de surveillance se change soudain en règle procédurière, le tout dans un non sens qui n’échappe pas au narrateur.
La Surproductivité est le genre de récit introspectif qui porte une forme de narration très intellectuelle. Histoires du quotidien où rien ne semble se passer mais où tout se joue, le livre vaut le détour pour de nombreuses raisons. À commencer par ce qu’il dépeint de la Corée de 1960 à 1980. Les discrètes allusions au voisin du Nord et aux transfuges d’alors (qui partaient du Sud vers le Nord), aux policiers et détectives formés par la police japonaise d’occupation, aux relations complexes entre hommes et femmes, sont autant d’indices mystérieux laissés à l’interprétation du lecteur. En ce sens, La Surproductivité s’inscrit dans une forme d’écriture critique dont la protestation secrète est laissée à l’intelligence des lecteurs. Rappelons qu’à l’heure où Kim Sung Ok écrit, les dictatures consécutives Park et Chun restreignent les libertés d’expression. La censure est donc un paramètre intrinsèque au style de Kim Sung Ok qui parvient malgré tout à transmettre une vision critique du quotidien de ses contemporains.
Le rapport aux groupes sociaux est un autre élément qui rend la lecture de ce livre intéressante. Le narrateur en quête de sens s’étonnent des pains à la vapeurs qui lui servent d’amis, de son ange qui à force de rencontres devient de plus en plus Suk’i et de ce monsieur Ho et Pak qui prennent trop à coeur la disparition du vieux. Ce regard surpris se meut vite en un air désabusé qu’endosse le narrateur et qu’il part suivre entièrement. L’inconstance de la vie devient comme une raison à suivre la voie amère de la vie sociale.
Conclusion
En conclusion, La Surproductivité est un livre à lire pour les lecteurs aguerris et curieux des narrations sud-coréennes pré-démocratiques. Le livre n’est pas aisé à lire mais vaut le détour et est une belle aventure dans la nouvelle vague coréenne. J’espère que vous aurez autant de plaisir et d’étonnement que j’en ai eu.
Où trouver La Surproductivité ?
La Surproductivité de Kim Sung’ok, trad. Choe Yun et Patrick Maurus, Ed. Acte Sud, Mai 1992, ISBN 2-86869-840-9
Article rédigé par Casado Hélène.