La Corée du Nord est un des pays les plus hermétiques au monde. Si plusieurs ouvrages d’auteurs nord-coréens ont été traduits en français, La dénonciation de Bandi est un cas à part. En effet, ce recueil de nouvelles est parvenu clandestinement en Corée du Sud et n’est donc jamais passé par la censure nord-coréenne.
Qui est Bandi ?
On sait très peu de choses sur Bandi. Cet écrivain, dont le pseudonyme veut dire « luciole », est parvenu à publier ses manuscrits à l’étranger tout en restant en Corée du Nord.
Bandi est né en 1950, pendant la Guerre de Corée. Il a passé son enfance en Chine, où ses parents se sont réfugiés, avant de revenir en Corée du Nord. Dans les années 1970, ses premiers manuscrits ont été publiés en Corée du Nord et lui ont permis de devenir membre de l’Alliance des Ecrivains Coréens. Mais après le décès de Kim Il Sung en 1994 et la famine, il a perdu de nombreux proches, lui faisant perdre espoir dans le système nord-coréen. Il a alors décidé de s’opposer au régime à travers l’écriture. Aujourd’hui, en dépit de sa volonté de faire défection, il continue de vivre en Corée du Nord pour protéger sa famille.
Comment La dénonciation est-il arrivé en Corée du Sud ?
Afin de faire connaitre au monde les injustices de la société nord-coréenne, Bandi a dû faire preuve d’une grande prudence. L’auteur a profité de la défection d’une de ses proches en Chine pour lui transmettre ses manuscrits qui formeront le recueil La dénonciation. Si son amie n’a pas pu prendre le risque de prendre les manuscrits sur elle, elle lui a promis de trouver une façon de les transmettre. Plusieurs mois plus tard, un inconnu s’est présenté à Bandi et lui a présenté une note rédigée par son amie. Ainsi, les écrits de Bandi ont franchi la frontière et ont été publiés en Corée du Sud. L’ouvrage a été édité en 2016 en France.
« Je vis en Corée du Nord depuis cinquante ans,
Comme un automate qui parle,
Comme un homme attelé à un joug.
J’ai écrit ces histoires,
Poussé non par le talent,
Mais par l’indignation,
Et je ne me suis pas servi d’une plume et d’encre,
Mais de mes os et de mes larmes de sang. »
La dénonciation, introduction
Résumé de La dénonciation
A travers sept histoires courtes prenant place dans les années 1990, Bandi dénonce le quotidien des citoyens ordinaires nord-coréens, qui souffrent de la faim, de l’arbitraire, de la persécution et du mensonge.
On suit par exemple une mère vivant à Pyongyang dont le jeune fils souffre de problèmes psychologiques lorsqu’il voit des images de Karl Marx. Dans une autre histoire, un homme voyage clandestinement pour voir sa mère qui est sur le point de mourir. Enfin, Kim Il Sung fait une apparition dans un récit, dans lequel il rencontre une femme âgée qui a dû continuer son chemin à pied parce que la gare était fermée en raison de l’arrivée du dirigeant.
Mon avis sur La dénonciation
Ce que La dénonciation m’a appris sur le régime nord-coréen
J’ai beaucoup aimé ce roman, qui m’a permis de comprendre ce que ressentaient les Nord-Coréens à l’égard du régime, sans que leurs paroles ne soient tues par la censure. Dès la critique de Karl Marx en introduction, j’ai compris que c’était l’hypocrisie du système communiste qui était rejetée : alors que le communisme devrait être un système sans classes sociales, celles-ci existent bel et bien en Corée du Nord. Il est impossible de changer de position dans la société car c’est cette dernière qui détermine le rôle de chacun. Pire, les actions d’une personne ont des conséquences sur l’ensemble de sa famille et de sa descendance, même si celle-ci est exemplaire.
Un autre aspect marquant du roman est la place prépondérante du parti communiste. Celui-ci est présent dans presque toutes les histoires, notamment à travers les secrétaires locaux du parti. On comprend rapidement que ses membres sont privilégiés, corrompus et dangereux, au point d’être comparés à des « champignons rouges » qui empoisonnent les gens.
Des récits tragiques par un auteur courageux
J’ai déjà eu l’occasion de lire un roman nord-coréen, Des amis de Baek Nam Ryong. Mais cet ouvrage, publié en Corée du Nord, était passé par le filtre de la censure. La lecture de La dénonciation était donc une toute nouvelle expérience. J’y ai tout de suite ressenti l’honnêteté et la transparence de son auteur. Le recours au récit à la première personne et au journal intime m’ont également permis de m’identifier aux protagonistes et de connaître leurs pensées intimes, ce qui n’était pas le cas dans Des amis, où l’auteur restait à distance de ses personnages.
Les sept histoires avaient des schémas narratifs similaires. Après une situation initiale présentant les personnages, les enjeux étaient révélés grâces à un flash-back tandis que l’auteur critiquait le régime communiste. Chaque histoire se terminait par une chute pessimiste, plus ou moins tragique. Ayant compris la répétition du schéma à la troisième histoire, j’ai été inquiète pour les personnages des histoires suivantes, en m’interrogeant sur leur sort avant que celui-ci ne soit révélé. Le roman nous gardait ainsi dans un état d’alerte constant, reflétant parfaitement la société nord-coréenne.
Conclusion
Pour conclure, je pense que La dénonciation est un ouvrage que les personnes intéressées par la société nord-coréenne doivent lire. Même si on pourrait penser qu’il n’est plus d’actualité car l’action se déroule dans les années 1990, c’est toujours la même dynastie qui dirige le régime nord-coréen aujourd’hui. Un régime autoritaire et hypocrite qui brise des familles, des espoirs et des rêves, où tous les citoyens doivent respecter le rôle qui leur est donné.
Où trouver La dénonciation ?
Bandi, La dénonciation, traduction par Lim Yeong Hee et Mélanie Basnel, Editions Picquier, 304 pages, 2018 (ISBN : 978-2-8097-1319-0)
Source image : site des Editions Picquier