Ce mois-ci, la peintre féministe Yun Suk Nam rend hommage aux résistantes coréennes oubliées lors d’une exposition à Séoul. L’occasion pour nous de revenir sur cette exposition et ces femmes qui, occultées de l’histoire à cause de leur sexe, ont agi pour la libération de la péninsule à leur manière.
Hommage aux résistantes coréennes
La peintre sud-coréenne Yun Suk Nam présente aujourd’hui des portraits de militantes coréennes indépendantistes de l’époque coloniale japonaise, qui ont longtemps été négligées par les historiens à cause de leur sexe. L’exposition, intitulée La reconnaissance historique des femmes de la résistance – Portraits de 14 militantes pour l’indépendance qui ont bousculé l’histoire, est exposée dans la galerie Hakgojae, à Séoul.
Les militantes y sont représentées dans des tableaux, au crayon et à l’acrylique. Elles sont volontairement dessinées avec de grosses mains rugueuses qui, selon Yun Suk Nam, expriment la violence des épreuves qu’elles ont subies.
Au sein de l’exposition, une « chambre rouge » rend hommage aux femmes qui se sont sacrifiées pour l’indépendance de la Corée, par l’intermédiaire de planches de bois pointues, positionnées à la verticale.
Si l’exposition présente déjà de nombreux portraits, la galerie possède une salle de visionnage en ligne qui, dans le contexte de la pandémie, permet de visualiser 54 œuvres d’art, dont celles qui n’ont pas pu être exposées dans la galerie à cause de sa taille réduite.

Yun Suk Nam, une peintre engagée
Yun Suk Nam est une peintre sud-coréenne qui a consacré sa carrière à défendre les droits des femmes à travers son œuvre. Pratiquant à l’origine un style occidental, elle s’est tournée vers un style plus oriental en 2011 après avoir été fascinée par L’autoportrait de Yun Du Seo, un érudit de l’époque Joseon.
Jusqu’à ses 40 ans, sa vie se résumait à assumer son rôle de mère et d’épouse traditionnelle : la situation économique coréenne de l’après-guerre lui empêchait de réaliser son rêve de devenir artiste. Mais l’étude de l’art à New York et la découverte des œuvres de Louise Bourgeois dans les années 1980 ont tout changé pour elle. Son retour dans son pays natal a marqué un véritable tournant dans l’histoire de l’art féministe dans la péninsule.
Aujourd’hui âgée de 81 ans, elle est principalement connue en tant que « marraine de l’art féministe sud-coréen », notamment grâce à une exposition dite révolutionnaire en 1993, intitulée Les yeux de la mère. « C’est vraiment touchant de penser à la façon dont les femmes de l’époque se sont sacrifiées pour un pays dans lequel elles n’étaient pas bien traitées en raison de leur sexe », a-t-elle d’ailleurs déclaré à l’occasion de l’exposition. « Peut-être que lutter pour l’indépendance était un moyen de s’affirmer. En libérant leur nation, elles se libéraient également de leur condition. »

La reconnaissance des résistantes coréennes
Pour cet événement articulé autour des histoires des militantes coréennes, Yun Suk Nam s’est associée à la romancière Kim E Kyung, qui a fait de nombreuses recherches à leur sujet. En effet, très peu d’informations les concernant circulent, par rapport aux militants masculins. En 2019, lors du 100e anniversaire du mouvement coréen pour l’indépendance du 1er mars, seules 470 femmes avaient été récompensées pour leur contribution à l’indépendance du pays contre la domination japonaise de 1910-1945. Cela représentait à peine 3 % des combattants pour l’indépendance reconnus par le gouvernement sud-coréen.
Comme l’explique le responsable du Centre coréen de recherche sur l’histoire et la culture du bien-être social Lee Bang Won, il y a encore un manque de reconnaissance de ces femmes, dans la mesure où même la plus célèbre d’entre elles, Yu Gwan Sun, n’est pas suffisamment représentée dans les programmes scolaires et où certaines personnalités notables sont tout simplement exclues de l’historiographie officielle.
Or comme le rappelle l’exposition de Yun Suk Nam, les héroïnes de l’indépendance étaient nombreuses et se trouvaient dans toutes les sphères de la société coréenne. Elles étaient institutrices, interprètes, infirmières…
Certaines combattaient en première ligne au sein de l’armée indépendantiste auprès d’hommes, comme Nam Ja Hyeon (1872-1933) qui est notamment connue pour avoir envoyé une lettre tachée de sang aux dirigeants japonais, accompagnée de son doigt coupé. D’autres, comme Park Jae Hye (1895-1943), épouse du leader pour l’indépendance Shin Chae Ho, étaient des femmes dévouées au mouvement indépendantiste qui vivaient dans l’ombre de leur mari. Il y avait enfin des pilotes comme Kwon Ki Ok (1901-1988), qui avait déclaré dans un entretien en 1961 que voler dans les airs était le seul moyen pour elle de se libérer et de lutter contre les Japonais (vous pouvez lire cet article de K.Owls si vous désirez en savoir plus sur elle).

Conclusion
Malgré de nombreuses initiatives, comme celle de la poste coréenne qui a publié des timbres à l’effigie des majeures figures militantes coréennes en 2019, l’histoire des résistantes coréennes reste relativement inconnue du public coréen et souligne l’importance accordée au sexe dans la société sud-coréenne. Même si les artistes et les cinéastes accordent de l’importance aux figures féminines de la résistance (The Age of Shadows, The Last Princess), le gouvernement sud-coréen a encore un rôle à jouer dans ce domaine.
Sources : The Korea Herald (1)(2) | Yonhap News Agency | Korean Stamp Society | Smithsonian magazine | Korea exposé
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