En me baladant dans la bibliothèque du Centre culturel coréen, je suis tombée sur Les Mensonges du Sewol de Kim Tak Hwan. Intriguée par ce fait qui a bouleversé la société sud-coréenne, j’ai vite emprunté le roman avant de le dévorer !
Remise en contexte : le naufrage du Sewol
Le 16 avril 2014 est une date gravée dans la mémoire des Sud-Coréens. Ce jour-là, le naufrage du Sewol entre Incheon et Jeju fait 304 victimes (sur les 476 personnes qu’il transporte), dont une majorité de lycéens en excursion scolaire.
Cette catastrophe cause de vives réactions et devient rapidement un scandale qui met en lumière de nombreuses carences, notamment dans l’organisation des secours : plus de la moitié des survivants sont sauvés par des navires privés, pourtant arrivés après la garde côtière nationale.
Les accusations tombent sur présidente Park Geun Hye qui sera destituée, le capitaine du ferry qui sera condamné à perpétuité et l’exploitant du ferry qui sera retrouvé mort.
L’auteur, Kim Tak Hwan
Kim Tak Hwan est un auteur sud-coréen de nombreux romans historiques à succès, dont L’immortel Yi Sun Sin (2004) et Les Romans meurtriers (2010). C’est un écrivain engagé qui s’inspire de l’histoire coréenne pour dénoncer les injustices et inciter à l’action civique.
Son ouvrage Les Mensonges du Sewol est publié en 2016 en Corée et en 2020 chez L’Asiathèque, traduit par François Blocquaux et Lee Ki Jung. À sa sortie, L’Asiathèque a organisé un entretien par visio avec Kim Tak Hwan, disponible ici.
Résumé de Les Mensonges du Sewol
Ce roman narre le quotidien de plongeurs explorant l’épave d’un ferry naufragé.
Le récit est une déposition écrite du plongeur professionnel Na Kyong Su, qui cherche à disculper son collègue Lyu Chang Dae, accusé d’homicide involontaire. Il y évoque la recherche des cadavres à travers l’obscur labyrinthe qu’est l’épave, mais aussi les traumatismes dont les plongeurs souffrent depuis la fin de leur mission. Na Kyong Su dénonce le manque d’organisation et d’attention avec lequel ont été menées les opérations, et les accusations injustes dont sont victimes les plongeurs, qui ont pourtant fait tout leur possible pour rendre aux familles les dépouilles de leurs enfants.
En fin de chapitres, le roman comporte des entretiens menés avec des proches des victimes ou d’autres personnes liées à l’enquête, nommés « Les voix du 16 avril ».

Mon avis sur Les Mensonges du Sewol
Kim Tak Hwan, un auteur au style confirmé
J’ai beaucoup apprécié la forme du roman. Le récit nous plonge dans l’action en nous mettant à la place du plongeur et les entretiens complètent ses propos en proposant un autre point de vue sur ce qu’il traverse. Accompagnés des descriptions, ils apportent un aspect journalistique qui renforce le réalisme du roman.
L’ouvrage contient plusieurs passages forts. J’ai été marquée par le moment où le plongeur fait face à un corps pour la première fois : la comparaison qu’il en fait avec une personne vivante qui ne veut plus le quitter est très poignante.
Cette confrontation directe et brutale de la mort, dans l’enfer que représente la mer, est par moments très angoissante. Plusieurs passages m’ont fait verser quelques larmes, comme lorsque des proches de victimes s’effondrent après s’être rendu compte que leurs enfants ne reviendraient pas.
Un véritable pamphlet politique
De manière directe et familière, l’auteur dénonce l’incompétence des autorités, qui trahissent la confiance des plongeurs. Le narrateur critique également les journalistes qui diffusent de fausses informations nuisant à la vie des plongeurs et se montrent inhumains.
J’ai été choquée par le fait que de nombreuses personnes déclarent que les plongeurs et les proches des victimes ne cherchent qu’à faire du profit : lorsque les parents des lycéens veulent soutenir les plongeurs, ce sont les autorités qui refusent cette aide sous prétexte qu’elle nuirait à l’efficacité des recherches !
« On presse le citron puis on jette l’écorce. Lyu a été pressé comme le citron du proverbe. »
Kim Tak Hwan, Les Mensonges du Sewol, page 169
Un point fort du roman est le fait que les critiques liées à cette affaire sont applicables à de nombreux incidents survenus en Corée. L’ouvrage mentionne l’incendie du métro de Daegu et aujourd’hui, il est difficile de ne pas penser à l’accident d’Itaewon.
À chaque fois, le gouvernement minimise sa responsabilité et la population critique les rescapés, les proches des victimes et les secouristes sans savoir ce qu’ils traversent : dès que certains protestent contre le gouvernement conservateur, ils sont traités de communistes ! Personne ne pense à remercier les plongeurs sous prétexte qu’ils ne font que « leur travail », malgré ses impacts personnels, physiques et psychologiques.
L’édition française de Les Mensonges du Sewol
Je m’interroge quant à la traduction française du titre 거짓말이다 (geojitmalida), soit « C’est un mensonge ». Je trouve que l’ajout du nom du navire va à l’encontre de l’intention de Kim Tak Hwan, qui a expliqué l’omettre intentionnellement pour conférer une portée universelle à son roman.
Malgré quelques défauts, l’édition française se rattrape avec une préface très intéressante : en plus de recontextualiser l’ouvrage, elle mentionne plusieurs documentaires sur le naufrage, comme Divine Bell (2014), qui intéresseront ceux qui veulent approfondir leur connaissance sur le sujet.
Conclusion
Kim Tak Hwan encourage avec succès les lecteurs à se révolter contre les autorités impliquées (Park Geun Hye était encore présidente au moment de la sortie du roman) !
La catastrophe du Sewol révèle les défauts de l’être humain, mais aussi les qualités dont font preuve certains individus, parfois de manière inattendue. Malgré l’événement tragique dévoilé en postface, l’entraide entre les personnages redonne espoir en l’humanité : la vérité finit toujours par éclater au grand jour.
« Lisez avec le cœur et indignez-vous avec la tête ! »
Kim Tak Hwan, Les Mensonges du Sewol, postface
Où se procurer Les Mensonges du Sewol ?
Kim Tak Hwan, Les Mensonges du Sewol, traduction par François Blocquaux et Lee Ki Jung, L’Asiathèque, collection « Monde coréen », 288 pages, 2020 (ISBN : 9782360572540).
Vous pouvez lire gratuitement un extrait du roman sur le site de L’Asiathèque.
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