Sorti le 21 décembre 2022 en Corée du Sud comme le grand spectacle de fin d’année, le dernier film en date du réalisateur Yoon Je Kyoon (Ode to My Father) transpose Hero, comédie musicale sur l’activiste Ahn Jung Geun, sur grand écran.
Mamma Mia !, Le Fantôme de l’Opéra, Les Misérables ou encore In The Heights (ndlr : D’Où l’On Vient en français) : ces vingt dernières années, les adaptations cinématographiques de comédies musicales se sont multipliées. Si ces films reprennent principalement les grands classiques du West End ou de Broadway, la Corée du Sud n’avait pas encore proposé de long-métrage malgré une scène musicale très riche et active.
C’est désormais chose faite avec le film Hero, qui transpose la comédie musicale éponyme, créée en 2009, pour les salles obscures. K. Owls vous en avait parlé peu avant sa sortie, mais maintenant que le film est disponible, l’adaptation est-elle réussie ? Réponse dans notre critique.
Hero : un serment
Informations

- Titre anglais : Hero
- Titre original : 영웅
- Pays : Corée du Sud
- Réalisation : Yoon Je Kyoon
- Scénario : Han Ah Reum & Yoon Je Kyoon
- Dates de sortie : 11 août 2021
- Durée : 121 minutes
- Genres : Musical, historique, drame
- Avertissement : 12 ans et plus
- Plateforme : Netflix (Corée)
Synopsis
Hero raconte les dernières années de vie de l’activiste indépendantiste Ahn Jung Geun. Engagé dans les réseaux de résistance contre l’oppression japonaise suite à la colonisation de la Corée, il part pour le nord : Vladivostok (Russie), puis Harbin (actuelle Chine). C’est dans cette ville que lui et quelques autres résistants prévoient d’assassiner Ito Hirobumi, premier gouverneur général japonais de Corée, le 26 octobre 1909.
Ce film est l’adaptation de la comédie musicale du même nom, créée en 2009, à l’occasion du centenaire de la mort d’Ahn Jung Geun, et qui s’est jouée en Corée du Sud à plusieurs reprises depuis.


Qui est Ahn Jung Geun ?
Avant d’aller plus loin dans la présentation du film, il me semblait important de présenter Ahn Jung Geun plus en détail.
Ahn Jung Geun naît le 2 septembre 1879 à Haeju (actuelle Corée du Nord), dans une famille descendante d’un célèbre érudit du XIIIe siècle. Le royaume de Joseon connaît à cette époque de nombreux changements : ouverture du royaume sur le reste du monde, combats armés ponctuels sur les côtes et influence grandissante du Japon sur la péninsule. Le tout sans compter l’omniprésence du père du roi Gojong dans les décisions politiques et, plusieurs années plus tard, l’assassinat de l’impératrice Myeongseong par les Japonais.
Tous ces évènements participent à la colonisation de la Corée par le Japon qui sera officiellement promulguée en 1910, mais déjà bien en place depuis le début du XXe siècle.
Les parents d’Ahn Jung Geun cachent des résistants, membres des Armées Vertueuses, pendant son enfance, où certains leaders remarquent son goût pour la lecture et l’écriture (il deviendra plus tard calligraphe). À l’âge de seize ans, lui et son père se convertissent au catholicisme, il obtient son nom de baptême Thomas et apprend le français. Quelques années plus tard, il sera même caché par un prêtre français avec qui il étudiera la Bible.

Ahn Jung Geun en 1909
Après la signature du Traité d’Eulsa (dépourvoyant la Corée de sa souveraineté diplomatique) en 1905, il crée des écoles dans le nord de la Corée afin d’instruire le peuple. Il participe à plusieurs mouvements de contestation avant de partir pour Vladivostok afin de rejoindre les forces armées coréennes indépendantes, au cœur des combats. C’est le 26 octobre 1909 qu’il assassine Ito Hirobumi et blesse trois autres dignitaires japonais à la gare de Harbin, armé d’un pistolet et d’un drapeau coréen, criant pour l’indépendance de son pays.
Il sera arrêté puis jugé avant d’être condamné à mort par les autorités coloniales japonaises, à qui il demande d’être traité comme un prisonnier de guerre (ce qui lui sera refusé, traité comme un criminel ordinaire). Il se défendra et justifiera son geste en énumérant quinze raisons pour lesquelles Ito devait mourir dont, parmi elles, l’assassinat de l’impératrice Myeongseong en 1895, l’abdication forcée du roi Gojong en 1907 ou encore la répression violente contre le peuple coréen.


À gauche : recueil des derniers mots d’Ahn Jung Geun / à droite : Ahn Jung Geun avant son exécution, le 26 mars 1910
Pendant sa captivité, il rédige un traité, De la Paix en Asie de l’Est, où il développe plusieurs concepts, notamment celui d’une collaboration pan-asiatique entre la Chine, la Corée et le Japon, en réponse à l’impérialisme occidental.
Il meurt pendu le 26 mars 1910 à Port Arthur (actuelle Lüshunkou en Chine). À l’heure actuelle, on ignore toujours où il repose. Pour beaucoup, il est l’un des héros les plus importants de la lutte pour l’indépendance de la Corée. Un musée lui est dédié au cœur de Séoul, non loin du parc de Namsan, depuis 1970 afin de garder intacts sa mémoire et ses sacrifices pour la nation coréenne.

Distribution de Hero
Pour ce film, le réalisateur JK Yoon a fait appel à un visage bien connu des fans de la comédie musicale : Jung Sung Hwa interprète le rôle-titre, Ahn Jung Geun. Dès le début, il incarne l’activiste sur scène, pour en devenir l’un des interprètes emblématiques. Plus souvent sur les planches que sur les plateaux de cinéma, l’acteur se voit ici confier un rôle principal sur grand écran pour la première fois de sa carrière.
Kim Go Eun (Little Women) tient le rôle de Seol Hee, une servante au palais, témoin de l’assassinat de l’impératrice Myeongseong. Espionne pour le compte de la résistance coréenne, elle fait passer de nombreux messages importants concernant le gouvernement pro-japonais et leurs actions, alors qu’elle est engagée au service d’Ito Hirobumi.
Dans Hero, vous pourrez également découvrir d’autres activistes ayant lutté aux côtés d’Ahn Jung Geun. Notamment Jo Do Seon, interprété par l’acteur et mannequin Bae Jung Nam (Tomorrow). Également né en 1879, Jo Do Seon part travailler en Russie comme interprète avant de rejoindre Ahn Jung Geun dans une alliance composée de cinq autres résistants afin d’assassiner Ito Hirobumi à Harbin. Il est décrit comme le meilleur tireur du groupe. Condamné à un an de prison pour complicité dans le meurtre d’Ito Hirobumi, l’histoire perd ensuite sa trace et personne ne sait ce qu’il est devenu.

Vous pouvez également vous familiariser avec Yoo Dong Ha, joué par le jeune Lee Hyun Woo (Dream). Yoo Dong Ha naît en 1892 et n’a que 17 ans lorsqu’il se tient aux côtés d’Ahn Jung Geun. Lui aussi condamné à la prison, il continuera de se consacrer au mouvement pour l’indépendance dès sa sortie et ce, jusqu’à sa mort en 1918.
Quant à lui, Jo Jae Yun (Alchemy of Souls) prête ses traits au résistant Woo Deok Soon. Né en 1876, il part pour la Russie en 1905 après la signature du Traité d’Eulsa afin d’y établir une école et de soutenir financièrement la résistance. Il se bat aux côtés d’Ahn Jung Geun dès 1908 avant de l’assister contre Ito Hirobumi à Harbin. Après trois ans de prison, il reste dans les environs pour soutenir la résistance et aider les membres des Armées Vertueuses à rentrer en Corée. Il rentre au pays en 1948 et participe à la construction du nouveau gouvernement, devenant membre de l’Assemblée et travaillant à transmettre la mémoire de son camarade Ahn Jung Geun. Ne pouvant évacuer Séoul lorsque la guerre de Corée éclate, il est capturé puis exécuté par les forces nord-coréennes le 26 septembre 1950.
Vous pourrez également applaudir l’actrice et chanteuse Na Moon Hee (Navillera) qui interprète Jo Maria, la mère d’Ahn Jung Geun, ainsi que Park Jin Joo (If You Wish Upon Me) qui joue le rôle de Ma Jin Joo et Jo Woo Jin (Narco-Saints), dans le rôle de Ma Doo Sik, son frère.

De la scène à l’écran, il n’y a qu’un pas ?
Hero, un grand spectacle…
Répondons tout d’abord à la question peut-être la plus importante : est-ce que le casting chante bien ? C’est après tout l’un des points les plus importants dans un film musical. Alors, sans tergiverser davantage, la réponse est : oui ! Si la plupart des chansons reviennent à Jung Sung Hwa, acteur de comédies musicales de métier (dont le talent est attendu), le reste des acteurs n’ont pas à rougir de leur performance. J’aimerais d’ailleurs faire une mention toute particulière à Kim Go Eun qui m’a agréablement surprise. Son personnage doit chanter trois chansons plutôt exigeantes et pourtant elle parvient à livrer des performances convaincantes.
Pour rester sur le sujet de la musique, j’ai également apprécié la ré-orchestration des morceaux, bénéficiant de plus de cuivres dans cette adaptation filmique que dans sa version scénique. Cette présence renforcée participe à rendre l’ambiance du film plus solennelle, plus héroïque et complète le récit et le ton sans anicroches. La ré-orchestration la plus poignante pour moi est sans doute sur la chanson éponyme, 영웅 (Héros). Si l’album de la production de 2019 fait démarrer le morceau par des cuivres et percussions pour rapprocher la chanson d’une marche militaire dès le départ, la version ci-présente du film laisse Jung Sung Hwa chanter tout le premier couplet a capella, rendant la scène d’autant plus poignante et son héros beaucoup plus vulnérable alors qu’il traverse une épreuve.
Au-dessus : la version film de 2022 / En-dessous : version chantée par Min Woo Hyuk pour la promotion de la production 2022-2023
J’ai également aimé le changement effectué sur la chanson 동양평화 (La Paix en Asie de l’Est). De chanson elle passe à morceau instrumental : un choix qui m’a paru pertinent malgré toute l’appréciation que j’ai pour la version originale. La scène relate une conversation entre Ahn Jung Geun, alors prisonnier, et l’un de ses geôliers japonais, qui ne semble pas soutenir les actions de son pays, concernant le traité que le prisonnier vient de terminer. La mélodie seule s’intègre très bien à la scène et rend la conversation, empreinte d’empathie et de quasi-réconciliation, d’autant plus marquante, sans artifice aucun. De plus, ce passage permet également au récit de respirer avant un final très intense.
Quant à la chanson 그날을 기약하며 (Le Jour Promis), la mise en scène de la seconde partie, qui diffère de la version scénique, m’a profondément émue, rencontre entre le film et l’Histoire, résonnant comme un hommage à tous ces hommes et toutes ces femmes ayant œuvré pour l’indépendance de la Corée ; un hymne pour ne pas les oublier.

Enfin, si l’ensemble de la distribution nous offre une prestation de qualité, j’aimerais plus particulièrement m’attarder sur Park Jin Joo et Bae Jung Nam.
La première a vu son rôle s’étoffer et prendre une part plus active à l’histoire comparé à la comédie musicale. Sa candeur et son innocence, cette volonté d’optimisme et de détermination tranchent avec le contexte dramatique et rendent le tout encore plus tragique, exacerbant le sacrifice des résistants.
Quant au second, ce premier rôle dramatique, alors qu’il est souvent habitué aux rôles comiques, est une belle réussite et confirme tout le bien que je pense de lui. Il me tarde de le voir dans un autre rôle du genre (et de plus grande envergure si possible) !


… Souffrant de quelques faiblesses
Si l’ambiance générale du film nous happe et nous offre de beaux paysages par moments, c’est aussi ces mêmes paysages qui viennent parfois gâcher le visionnage. Manque de réalisme, incrustation médiocre : si certains décors sont époustouflants, d’autres m’ont paru beaucoup plus approximatifs.
Quant à l’histoire, si elle est relativement facile à suivre en nous plongeant presque in media res, elle peut paraître parfois un brin expéditive, laissant le spectateur recoller les quelques morceaux qui pourraient lui manquer. De plus, si le film coupe plusieurs chansons présentes dans la version scénique, il semble toutefois très chargé, laissant peu de place pour reprendre son souffle dans une intrigue riche et toujours en mouvement. Pourtant, Hero n’est pas un sung-through (comédie musicale chantée de bout en bout, comme Notre Dame de Paris ou Les Misérables, par exemple). Une chanson en moins ou un film un peu plus long (ce qui ne m’aurait pas déplu), m’auraient paru comme des solutions intéressantes pour pallier cette problématique.




Enfin, si l’ensemble du casting s’en sort bien en ce qui concerne le chant, le son en lui-même est parfois un peu inégal. Comme je l’ai expliqué dans mon article de présentation, les chansons ont toutes été enregistrées plusieurs fois : avant le tournage, pendant le tournage en captation live et en post-production. La version choisie dans le film varie en fonction des chansons (les captations live du tournage sont notamment privilégiées pour Kim Go Eun), mais il m’a semblé que certains morceaux étaient une fusion entre version studio et version tournage, rendant le son quelque peu inégal, ce qui m’a parfois dérangé.
Malgré quelques défauts techniques, Hero propose une plongée épique dans l’histoire d’un de ses héros nationaux, mené par une distribution talentueuse et des ré-orchestrations qui font mouche. Cette adaptation ne fait que confirmer encore plus mon envie de voir la comédie musicale sur scène.
Sources : Han Cinema | Daum Movie | Musée Mémorial Ahn Jung Geun (1) (2) (3) (4) (5) | The Korea Herald (1) (2) | Academy of Korean Studies
Sources Photos : Han Cinema | Daum Movie | Musée Mémorial Ahn Jung Geun