L’an 2000. Un millénaire vient de s’achever, un autre est sur le point de débuter avec son lot de changements et d’impacts sur notre vie quotidienne. L’euro sera bientôt utilisé dans nombre pays d’Europe, la téléphonie mobile se développe et les ordinateurs s’invitent de plus en plus dans les foyers. C’est dans cette ambiance de développement quasi constant que le Festival de Cannes invite pour la première fois un film coréen dans sa sélection officielle. Un film à l’opposé de l’environnement dans lequel il est présenté : Le Chant de la Fidèle Chunhyang du réalisateur Im Kwon Taek, adaptation d’un des contes les plus connus de la péninsule coréenne.
Chunhyang : Patrimoine Coréen
Informations
- Titre anglais : Chunhyang
- Titre original : 춘향뎐
- Pays : Corée du Sud
- Réalisation : Im Kwon Taek
- Scénario : Kang Hye Yeon & Kim Myeong Gyoon
- Distribution : Cho Seung Woo, Lee Hyo Jung, Lee Jung Hun
- Date de Sortie : 29 janvier 2000
- Durée : 134 minutes
- Genres : historique, romance, chant
- Avertissement : Scènes érotiques



Synopsis
Le Chant de la Fidèle Chunhyang raconte l’histoire de Chunhyang, une jeune fille de l’ère Joseon, fille de courtisane vivant à Namwon, dans le sud-ouest du royaume. Alors qu’un jeune noble, Lee Mong Ryong, parcourt les environs, il fait la rencontre de Chunhyang et en tombe éperdument amoureux. Les deux jeunes gens se marient en secret avec, pour seul témoin, la mère de Chunhyang. Mais le couple est bientôt séparé par le départ de Lee Mong Ryong pour Hanyang (l’actuelle Séoul) et le gwageo, l’examen national de la fonction publique. Se jurant fidélité et amour éternel, les deux amants se séparent à regret. Mais en l’absence de son bien-aimé, Chunhyang est bientôt l’objet des convoitises du nouveau gouverneur de la région.
Chunhyang et le pansori : késako ?
Avant d’être un film, Chunhyang (ou Chunhyangga en coréen), est un pansori. Le pansori est un art lyrique coréen. Il est présenté par un seul narrateur-chanteur accompagné d’un joueur de tambour. Très expressif, le pansori est facilement reconnaissable par la gestuelle du chanteur, son phrasé unique, les improvisations pouvant parfois durer jusqu’à huit heures, et son discours mêlant langue soutenue et langues régionales. L’art du pansori serait apparu en Corée vers le XVIIe siècle et est inscrit au patrimoine immatériel mondial de l’UNESCO depuis 2008.
Chunhyang est l’un des pansori les plus célèbres en Corée du Sud, adapté à de maintes reprises sous des formes diverses et variées. De nombreux maîtres du pansori l’ont chanté et l’ont développé au gré des improvisations. Ses thèmes de l’amour fidèle et pur ainsi que du rejet des classes sociales de l’époque en ont fait l’une des œuvres lyriques les plus appréciées. Il est à la base du drama populaire Sassy Girl Chunhyang et il est également possible d’en voir une représentation dans l’une des scènes du film The Sound of a Flower. Vous pouvez en voir un extrait ci-dessous :
Pour son film, Im Kwon Taek vous propose de vous installer dans l’audience d’une représentation du Chunhyangga et de laisser les mots prendre vie sous vos yeux. La scène s’efface et Namwon, Chunhyang et Lee Mong Ryeong prennent vie au chant du narrateur. Entre chaque partie chantée, quelques dialogues, parti pris artistique et véritable déclaration d’amour du cinéaste pour l’une des traditions de son pays.
Chunhyang : Cannes et la Corée
Les films coréens à Cannes avant 2000
Le cinéma sud-coréen a dû attendre pour voir les palmiers cannois pour la première fois. Quand les deux autres grands festivals de films en Europe, la Berlinale et la Mostra de Venise, s’ouvraient aux réalisateurs du pays du matin calme dès les années 1960, la première projection d’un film coréen sur les écrans du festival cannois date de 1984 avec Spinning the Tales of Cruelty Toward Women de Lee Doo Yeong, dans la sélection Un Certain Regard. Suivront alors trois autres films dans cette même sélection dans les années 1980 et 1990 : Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l’orient ? de Bae Yong Kyun en 1989, L’Echo du Vent en moi, court métrage de Jeon Soo Il, en 1997, et Le Pouvoir de la province de Kangwon de Hong Sang Soo en 1998.
En 1994, un film coréen est invité pour la première fois en hors compétition : Vanished du réalisateur Shin Sang Ok, dans le cadre d’une projection spéciale de films classiques. Petit à petit, les réalisateurs coréens ne sont plus aussi rarissimes que par le passé au festival azuréen.
La fin des années 1990 constitue la véritable entrée de la Corée du Sud à Cannes. En plus des films précédemment cités, pas moins de quatre courts métrages sont présentés en compétition entre 1998 et 1999 dont Le Pique-Nique de Il Gong Soo qui remporte le Prix du Jury. En tout, ce ne sont pas moins de huit films coréens présentés entre 1996 et 1999.



De gauche à droite, affiches des films : Spinning the Tales of Cruelty Toward Women (1984), Pourquoi Bodhi Dharma est-il parti vers l’Orient ? (1989) et Le Pouvoir de la Province de Kangwon (1998)
Mais l’an 2000 semble être un nouveau point culminant pour la présence coréenne à Cannes. En plus de Chunhyang, trois autres films coréens sont présentés : Peppermint Candy de Lee Chang Dong, dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs, Virgin Stripped Bare by her Bachelors de Hong Sang Soo, en compétition pour la sélection Un Certain Regard et Happy End par Heo Jin Ho, en compétition pour La Semaine de la Critique.
Si les premiers films invités étaient des films d’époque ou abordaient des thèmes culturels coréens importants, les œuvres sélectionnées se sont ensuite diversifiées. Mais pour le tout premier film coréen en sélection officielle, il fallait bien un « retour aux sources ».
Chunhyang : Comme un goût de traditions coréennes sur la Croisette
Si des films coréens ont déjà été projetés au festival, aucun n’a encore pu monter les fameuses marches du Palais des Festivals, s’arrêter sur le tapis rouge devant la foule massée sur des échelles pour tenter d’apercevoir les vedettes. Dans ce contexte, Chunhyang intrigue. Jamais encore le riche cinéma coréen n’avait été autant sur le devant de la scène et puisque cette fois-ci, il s’agit d’un film d’époque, tout est fait pour montrer le plus possible les costumes et quelques autres traditions.
Au grand désespoir de Cho Seung Woo (Stranger), qui pour son premier rôle s’est vu obligé de porter le hanbok de son personnage pour chaque sortie officielle et d’agiter un éventail traditionnel devant les photographes. Mais c’est malgré tout la fraîcheur du duo principal, qui vit là sa première expérience en tant qu’acteurs, qui attire l’œil et laisse souffler un vent de jeunesse sur les célèbres marches.


Im Kwon Taek accompagné de ses deux acteurs principaux : Lee Hyo Jung & Cho Seung Woo
La sélection d’un film d’Im Kwon Taek n’est pas non plus anodine. S’il s’agit de la première venue du réalisateur à l’époque, l’invitation sonne comme une juste récompense pour celui qui avait déjà réalisé près de cent films avant Chunhyang et était déjà reconnu comme l’un des fers de lance du cinéma coréen. Son hommage au pansori, déjà entamé avec son film La Chanteuse de Pansori (1993), premier de ses films à sortir en France, dénote dans un contexte de grands changements économiques, sociétaux et technologiques et achève le portrait de cette entrée sur le tapis rouge placée sous le signe des traditions. Si le film ne remporte aucun prix à Cannes, il est reconnu en Corée avec de nombreuses récompenses dont le renommé Grand Prix aux Baeksang Awards. Et au-delà de toutes les récompenses possibles, il a le mérite d’ouvrir la voie à ses compatriotes pour accéder eux aussi au Palais des Festivals.
L’après Chunhyang : un véritable essor
Après cette entrée en matière, la Corée revient en sélection officielle deux ans plus tard, encore avec Im Kwon Taek. Ivre de Femmes et de Peinture met en scène la vie du peintre coréen Jang Seung Ub et fait mouche : prix de la Mise en Scène pour le réalisateur. Et dès lors, la Corée continue d’être une invitée régulière et ses films, parmi les favoris des remises de prix à Cannes.
Comme il est régulier de voir certains réalisateurs occidentaux avec l’étiquette « d’habitué » de Cannes, certains cinéastes coréens ne tardent pas à faire partie de ceux dont tout le monde connaît le nom pour les amoureux du festival. On compte par exemple Hong Sang Soo, avec quatre films en sélection officielle et sept autres films dans les autres compétitions parallèles au festival, Bong Joon Ho avec quatre films dont deux en sélection officielle, Lee Chang Dong, quatre films dont trois en sélection officielle ou encore Park Chan Wook, quatre films en sélection officielle.



De gauche à droite : Hong Sang Soo, Park Chan Wook et Bong Joon Ho
Si entre 1984 et 2000, seuls seize films coréens sont venus à Cannes, près de cent films ont été présentés depuis 2001 remportant pas moins de seize récompenses dont, bien sûr, la Palme d’Or pour Parasite de Bong Joon Ho en 2019. L’essor du cinéma coréen sur la Croisette s’accroît et atteint encore de nouveaux sommets avec l’édition 2022.
Cette année, six films coréens sont présentés dont deux, Decision To Leave de Park Chan Wook et Broker de Kore-Eda Hirokazu, en sélection officielle, pressentis pour la Palme d’Or. Si l’ultime récompense leur échappe, chacun des films repart avec un prix en poche : prix d’Interprétation Masculine pour Song Kang Ho et prix de la Mise en Scène pour Park Chan Wook. Par ailleurs, le KOFIC (le Conseil du Film Coréen) a organisé une « K-Movie Night » lors du festival réunissant plus de 500 acteurs du monde du cinéma, aussi bien coréens qu’étrangers lors d’une soirée de promotion et d’échanges sur le cinéma coréen. Un véritable tour de force pour une industrie encore quasi absente du festival il y a peu.
Conclusion
En presque quarante ans, la Corée du Sud au Festival de Cannes est passée de curiosité à valeur sûre. Et même si Chunhyang n’est qu’une raison parmi tant d’autres, il en reste néanmoins que le film d’Im Kwon Taek a ouvert la voie et fut l’un des premiers pas vers la consécration actuelle du cinéma coréen sur la Côte d’Azur.
Sources : Han Cinema | Daum | NamuWiki | KOFIC | UNESCO | Festival de Cannes | Huffington Post | Google Arts & Culture | Les Inrockuptibles (1).(2) | The Korea Herald
Sources Images : Han Cinema | IMdB | Daum
Sources Vidéos : KBS World TV